Les menaces et les appels à piquer les femmes pendant la fête de la musique ont été largement médiatisés. Une bonne façon d’alerter… Mais aussi une façon, pour l’extrême droite, de capitaliser sur les peurs des femmes.

À quelques jours de la fête de la musique, qui se déroule chaque année le 21 juin partout en France, la rumeur d’une vague d’agressions possibles à la seringue lors de l’événement festif s’est propagée sur les réseaux sociaux. Derrière ces menaces d’agressions, le but est clair : terroriser les femmes, les exclure des festivités qui prennent place dans l’espace public et les cantonner à la sphère domestique.
Les médias s’emparent du sujet
L’ampleur prise par cet « appel à piquer des femmes » attire l’attention des médias qui sont nombreux à en avoir parlé. Si les violences faites aux femmes sont longtemps restées peu couvertes par les grands journaux, elles font cette fois-ci les gros titres. Au lendemain de la fête de la musique, plusieurs médias relaient le bilan du ministère de l’intérieur, publié dimanche 22 juin, qui révèle que 145 victimes se sont manifestées auprès des services de police en métropole et en outre-mer. La préfecture de police de Paris a relevé 21 cas en Ile-de-France, dont 13 dans la capitale. « Certaines victimes ont été prises en charge dans des hôpitaux afin de subir des analyses toxicologiques », a précisé le ministère. Plusieurs interpellations ont également eu lieu.
Faut-il y voir une évolution positive du traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles, qui mettent habituellement du temps à se frayer un chemin dans l’actualité ? Rien n’est moins sûr puisque les médias font état de ces violences sans questionner les dynamiques masculinistes et réactionnaires sous-jacentes.
Un « hoax complotiste »
Sur les réseaux sociaux, la créatrice de contenu @abregesoeur_ avait également publié un appel à la vigilance et rappelait les recours possibles si l’on pense avoir été victime d’une agression à la seringue. « Des hommes prévoient d’attaquer et de piquer des femmes lors de la fête de la musique, ce 21 juin », indique son post publié sur Instagram. Un message repartagé par plusieurs autres comptes, dont celui de The Sorority, une application permettant aux utilisatrices de s’entraider dans l’espace public lorsque l’une d’elles signale une potentielle agression.
Mais derrière ces appels à la vigilance, la journaliste Valérie Rey-Robert, autrice de plusieurs livres sur la culture du viol dont Dix questions sur la culture du viol (éd Libertalia, 2025), regrette, dans un post Instagram, que l’attention soit portée uniquement sur une dangerosité de l’espace public pour les femmes et les minorités de genre. Elle déplore aussi la récupération par l’extrême droite qui en a profité pour déverser son traditionnel discours sur l’insécurité. Le porte-parole du groupe d’extrême droite Némésis a écrit sur X : « Rien de surprenant, hélas… Chaque événement devient un prétexte pour voler, agresser, détruire, frapper et parfois même violer. Et tout cela, en groupe, comme une sinistre et désolante routine ».
Suite à cet « appel à piquer des femmes », appeler à la vigilance entretient, selon Valérie Rey-Robert, un « hoax complotiste » qui « sert juste à générer des peurs irrationnelles ». Cela alimente aussi une vision faussée des violences sexistes et sexuelles qui auraient lieu principalement dan l’espace public. Alors que ces violences sont commises en très grande majorité dans l’espace domestique. Un discours tourné sur les dangers de l’espace public pour les femmes est un terreau fertile pour les idées xénophobes et ultra-conservatrices de l’extrême droite. « Jour après jour, l’extrême droite fait de l’homme racisé dans l’espace public le vrai et seul danger pour les femmes. » écrit-elle.
Menaces masculinistes
Sur Instagram, le compte @Technoplusasso, association engagée pour limiter les risques lors des évènements festifs liés à la techno, précise que les cas confirmés de piqûres restent très rares. L’association assure aussi qu’aucune contamination infectieuse (comme le VIH) n’a été constatée, qu’aucune substance psycho-active n’a été détectée et très peu de cas d’agressions sexuelles ou de viol ont été directement associé à ces piqûres dans les signalements.
Toutefois, Stephanie Lamy, chercheuse spécialiste des mouvances masculinistes, appelle à ne pas prendre ces menaces d’agressions à la légère. « On parle d’empoisonner des femmes. Une action collective préméditée pour nous terroriser. », écrit-elle sur Bluesky afin d’exposer les stratagèmes masculinistes visant à créer un sentiment d’insécurité chez les femmes. Sur Instagram, la militante féministe Irene García Galán met en garde contre le danger de la désinformation et de la construction d’une « terreur sexuelle », concept théorisé par la philosophe espagnole Nerea Barjola. Elle écrit : « La terreur sexuelle se construit par tous les éléments de langage, les éléments discursifs, qui visent à rappeler en permanence le danger que l’espace public, et en particulier la nuit et dans les espaces de fête, représente pour les femmes et les dissidences » et insiste sur la responsabilité des médias qui tendent à entretenir cette peur constante chez les femmes.
Faire de la prévention face aux risques en cas de soumission chimique est absolument nécessaire. Cependant, faire peser cette prévention sur les seules femmes et les dissuader d’investir l’espace public n’est pas la solution. Il est largement temps que les pouvoirs publics prennent le mal à la racine et luttent contre un climat masculiniste grandissant.
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