Une position résumée par Gisèle Halimi, av ocate de la cause féminine, qui y voit un « apartheid sexuel », dans la mesure où il « défend aux femmes qui le portent le droit de percevoir le monde comme les hommes le perçoivent. »
Même point de vue de Sihem Habchi, présidente de l’association Ni Putes Ni Soumises, pour qui le voile intégral « apparaît comme le point culminant de l’évolution d’une vision archaïque du rôle des femmes, confinées dans la sphère sexuelle, loin du champ économique et social. » Elle ajoute : « La burqa est bien le symbole le plus violent de l’oppression des femmes et n’a rien à voir avec la religion musulmane, ma religion. »
En effet, l’autre point de convergence porte sur la part minoritaire dans l’islam des tenants de cette oppression. Comme l’explique l’anthropologue Dounia Bouzar, « le Niqab est lié à des groupuscules qui se revendiquent du salafisme (3), il s’agit de mouvements sectaires. Etre choqué, être offensé par le niqab, c’est respecter l’islam, c’est montrer que la France n’a pas une vision archaïque de cette religion. »
Peur de l’effet boomerang
Mais c’est là aussi que vient se greffer un premier point de divergence. Puisque le port du voile intégral reste extrêmement minoritaire, est-ce bien nécessaire de légiférer ? En juillet, les services de renseignement chiffraient à 367, ni plus, ni moins, le nombre de femmes portant le voile intégral en France. Un chiffre controversé, jugé même « ridicule » par le président de la mission parlementaire, mais qui fait dire au socialiste Claude Bartolone qu’une loi reviendrait à « sortir un gros pilon pour écraser une mouche ». Pour autant, « le port du voile intégral est une question de principe, pas de chiffres », clame Siheb Habchi. Pour qui « l’alternative est claire : c’est la République ou la burqa. »
Et derrière cette querelle autour des chiffres perce un trouble bien plus sensible : la crainte qu’une loi se montre contre-productive. Les élus de l’association Villes et banlieues de France craignent ainsi de voir stigmatisés davantage des quartiers sensibles déjà pointés du doigt. Pour Dounia Bouzar, il faut absolument éviter de braquer les musulmans en faisant l’amalgame entre niqab et islam : « le fait de poser le débat sur un plan religieux renforcerait le discours salafiste et pourrait même conduire des filles, par solidarité, à changer leur foulard en niqab. »
Vivement opposé à l’initiative parlementaire, le commissaire à l’égalité et à la diversité des chances agite justement la question religieuse et le risque d’un effet boomerang. Début septembre, dans La Croix, Yazid Sabeg, écrivait ainsi que « la polémique sur la burqa va rouvrir des frustrations, des antagonismes, des racismes. »
Pour contourner le piège, les membres de la mission d’information ne cessent de se justifier : il s’agit de ne pas intervenir sur le champ religieux, mais de prendre le voile intégral comme une question politique ; la marque d’un prosélytisme salafiste. Le philosophe Abdennour Bidar estime alors que « la République a la responsabilité d’aider les musulmans de France à résister à cette pression. »
Une approche partagée par la quasi-totalité des intervenants lors de ces cinq premières auditions. Elisabeth Badinter considère ainsi que le port du voile intégral « marque une rupture du pacte social, un refus d’intégration et un refus du dialogue et de la démocratie. » Pour l’Union des familles laïques, « c’est beaucoup plus qu’un signe religieux, c’est un projet politique séparateur qui porte atteinte à la notion de personne. »
De la question politique à l’approche sécuritaire
Ces bases posées, reste encore la question du bien-fondé d’une loi. Le maire de Cachan, Jean-Yves Le Bouillonec, résume ainsi les doutes de l’association des maires de banlieues : « Si on fait une loi, il faut se poser la question de savoir comment on l’applique, et quelles sanctions on applique. Le problème des regroupements dans les halls d’immeuble nous montre qu’une loi est en elle-même insuffisante. » Des auditions de juristes, dans les prochaines semaines, permettront de pousser plus loin ces questionnements.
Les associations de défense des droits des femmes s’accordent, elles, sur ce point : ce combat va au-delà d’une loi. Il s’agit, au fond, de mener une réflexion de société sur les raisons qui poussent à l’enfermement derrière un voile. Le Mouvement français pour le planning familial réclame un ministère dédié aux droits des femmes ; l’association Parole de femmes propose un service civique mixte obligatoire. Un recours à l’éducation jugé également indispensable par l’association Choisir la cause des femmes, présidée par Gisèle Halimi. Laquelle penche pour prendre d’abord un an de réflexion, d’approfondissement des études sur la question.
Et si, finalement, le problème pouvait se résoudre en posant le débat sur le terrain de l’ordre public ? Dounia Bouzar revendique cette approche sécuritaire, prenant l’exemple d’un projet de loi récent en Belgique : il s’agirait « d’interdire à tous les citoyens la dissimulation délibérée et permanente d’identité, quel que soit le moyen utilisé. » Déjà, des réglements locaux en vigueur en Belgique ou au Luxembourg interdisent, en dehors du carnaval, de se montrer masqué ou travesti dans les rues. Gisèle Halimi propose cette même solution du bout des lèvres, comme dernier recours.
La tentation de botter ainsi en touche semble forte. Mais cette approche sécuritaire sera sans doute difficile à digérer pour les membres d’opposition de la mission – dont le président lui-même est communiste. Après les remous provoqués au printemps par le « décret anti-cagoule », punissant de 1500 euros d’amende tout individu cachant son visage aux abords d’une manifestation, ira-t-on vers un décret plus général, prohibant toute dissimulation de son identité dans la rue ?
Voila l’état des lieux, mais la réflexion est encore longue. La mission rendra son rapport en janvier 2010. Onze nouvelles séances d’audition sont prévues d’ici là. Et ses membres se rendront sur le terrain dans les prochaines semaines, à Lille, Marseille, Lyon et en région parisienne, pour entendre les « acteurs de première ligne ».
(1) La mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national compte 32 députés issus des groupes parlementaires, au prorata de leur poids à l’Assemblée. Elle est présidée par le député PCF, maire de Vénissieux (Rhône) André Gérin.
(2) Il existe, pour résumer, deux types de voile intégral. La burqa, rendue célèbre par les images d’Afghanistan, est un voile intégral (principalement bleu) où les yeux sont cachés derrière un grillage. Elle ne semble pas présente en France. Sur le territoire français, on retrouve la niqab, voile (principalement noir) laissant juste une ouverture pour les yeux. Nous conservons dans les citations le mot « burqa » quand il a été employé, mais il est à prendre comme une imprécision.
(3) Né au tournant du XXème siècle, le salafisme prône un islam radical et impliqué dans le champ politique.