Le sexisme, les inégalités hommes/femmes, et comment les combattre : la ministre des Droits des femmes débat avec des lectrices et lecteurs des Nouvelles NEWS. Compte-rendu de la rencontre du 25 février 2014. (Avec vidéos)
Elles et il étaient dix abonné.e.s aux Nouvelles NEWS à débattre pendant près de deux heures avec Najat Vallaud-Belkacem, le 25 février au ministère des Droits de femmes. Une thématique générale pour un dialogue à bâtons rompus, sans langue de bois : quelles sont les possibilités d’agir concrètement pour faire reculer les inégalités entre femmes et hommes ? Le débat s’ouvre sur la question du sexisme dans les médias.
« Si c’est la ministre des Droits des femmes qui passe pour la censeure en chef, on va avoir très vite le retour de bâton »
« Même si la configuration de la société a évolué ces dernières décennies, des stéréotypes persistent dans les médias », reconnaît la ministre des Droits des femmes. Comment les faire reculer ? Najat Vallaud-Belkacem met en avant le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dont le projet de loi égalité femmes/hommes renforce les compétences (Voir : Femmes dans les médias : trois leviers dans la loi)
La ministre revient sur la polémique autour des commentaires sexistes aux JO de Sotchi – une question dont le CSA s’est saisi. Ce n’est pas mon rôle de condamner de tels propos, souligne Najat Vallaud-Belkacem : « Si c’est la ministre des Droits des femmes qui passe pour la censeure en chef, on va avoir très vite le retour de bâton (…) Ce à quoi je veille, c’est donner au CSA les compétences nécessaires pour qu’ensuite il puisse évaluer la situation et prendre des décisions ».
La conversation se poursuit sur la façon dont les médias parlent des violences faites aux femmes, et la fronde d’écoles de journalisme (« Pas toutes », relève Najat Vallaud-Belkacem) contre l’article 16 bis du projet de loi égalité qui prévoit d’introduire des formations obligatoires à l’égalité dans ces écoles.
La ministre s’interroge sur la pertinence du vecteur législatif. « Mais sur le principe, il y a un avantage à donner des formations, de la même façon qu’on forme les professionnels qui sont en contact avec des victimes de violences. »
Lutter contre les violences, « ça ne peut pas être se contenter de créer des abris pour femmes battues »
La ministre revient sur les critiques adressées à sa politique, notamment celle de vouloir faire imposer une « rééducation » des mentalités. Mais « vouloir vraiment avancer sur ces sujets, ça ne peut pas être se contenter de créer des abris pour femmes battues ». C’est aussi « éduquer à l’égalité dès le plus jeune âge pour éviter ces violences » et responsabiliser les auteurs, insiste Najat Vallaud-Belkacem.
Elle tacle également les critiques qui accompagnent les ABCD de l’égalité à l’école, « où on nous reproche de vouloir l’indifférenciation des femmes et des hommes ». Et la ministre de dresser cette comparaison : « C’est comme si en apprenant aux enfants à lutter contre le racisme on laissait croire aux blancs qu’ils sont noirs et aux noirs qu’ils sont blancs. Ça n’a rien à voir, au contraire, on leur demande de valoriser leurs différences et de croire en eux-mêmes, tels qu’ils sont ! »
(Voir aussi plus loin : Les ABCD de l’égalité, « cela fait partie des choses les plus importantes qu’on laissera »)
Ne vaudrait-il pas mieux axer les campagnes de communication, pour mieux impliquer les hommes… et les jeunes femmes ?, s’interroge Anne Doizy, directrice de l’agence de communication JWT. Autre écueil, observe Maxime Ruszniewski, conseiller de la ministre : la plupart des campagnes actuelles ne concernent que des CSP+. « Depuis qu’on est là, j’ai le sentiment de les avoir beaucoup associés, les hommes. Ce n’est peut-être pas passé suffisamment dans les médias », commente Najat Vallaud-Belkacem. « Il faut peut-être passer un cran au-dessus ».
Les réseaux de femmes en entreprise peuvent aussi s’ouvrir aux hommes, fait remarquer à ce sujet Sabine Lochmann, directrice générale de BPI Group. « Il ne faut pas créer des logiques d’opposition, mais des logiques d’inclusion ». Ce qui permet aussi de rejoindre les préoccupations des plus jeunes femmes qui ne voient pas toujours le plafond de verre.
Par ailleurs, il reste un gros travail à faire pour que les hommes changent leur regard sur le travail féminin et la question des horaires. Quand un homme dit à sa femme : « Tu dois rentrer à 17h », c’est une forme de violence dans le couple, souligne Sabine Lochmann.
C’est Najat Vallaud-Belkacem qui lance la question : comment mieux répartir les tâches domestiques ? (Voir à ce propos sur Les Nouvelles NEWS : Partage des tâches : où est le « normal » ?)
Patrice Duchampt évoque une future campagne de ZéroMacho : installer des tables à repasser dans des lieux publics et des panneaux porteurs d’un message à destination des hommes : « Ne te froisse pas, repasse ».
Lucie Larrey insiste sur le temps perdu – temps pour soi et professionnel – par les femmes en raison de leur participation aux tâches ménagères. En raison, aussi, des critères de beauté.
Elle évoque des expériences en Finlande et en Suède, où les garçons comme les filles ont des cours de tâches ménagères au lycée. L’occasion de se souvenir de l’époque où en France les filles apprenaient la couture et les garçons le bricolage…
« Parce que l’ancien monde est mort et que le suivant tarde à apparaître », il faut « accélérer la marche vers l’égalité »
Najat Vallaud-Belkacem pointe du doigt le malaise actuel de nombreuses femmes. A ses yeux, le problème est « qu’on a expliqué aux femmes que l’égalité est à portée de main ». Mais elles y voient « un marché de dupes », car « en réalité, elles ne sont plus sécurisées sur le plan du foyer, et dans le monde du travail elles ne sont pas à égalité avec les hommes ». Elles sont « en suspens », et « c’est parce que l’ancien monde est mort et que le suivant tarde à apparaître que c’est si inconfortable ».
Pour la ministre, la meilleure des façons de répondre à cette situation, « c’est d’accélérer la marche vers l’égalité ».
Élue municipale, Rachel Adil raconte comment dans les conseils municipaux les femmes ne prennent pas la parole : elles sont aussi nombreuses que les hommes à siéger, mais n’utilisent que 15% du temps de parole. C’est sans doute encore une question d’éducation, avance Najat Vallaud-Belkacem : on apprend aux filles « à n’ouvrir la bouche que quand il y a quelque chose d’intéressant, pertinent, à ajouter »
Les ABCD de l’égalité, « cela fait partie des choses les plus importantes qu’on laissera »
A propos de la prise de parole, retour à l’éducation et aux ABCD de l’égalité. Maud Carlus évoque des études montrant que les professeurs à l’école interagissent davantage avec les garçons qu’avec les filles. « C’est justement en partant de ce type d’études qu’on a monté les ABCD de l’égalité », souligne Najat Vallaud-Belkacem.
Et de s’en prendre à la « polémique stérile de ces derniers temps » (Voir : Les dérangés du genre à l’assaut des écoles ou encore « Tous à poil », tous paranos). Là où les ABCD sont expérimentés, ils sont plébiscités par les enseignants, par les enfants et par les parents, insiste Najat Vallaud-Belkacem. « Dans les chantiers que l’on a lancés au ministère, cela fait partie des choses les plus importantes qu’on laissera ».
« Je n’arriverais pas à travailler si j’étais enfermée dans mon seul ministère »
A propos de ministères, est-ce que vos collègues se sentent concernés ?, interroge Maud Carlus.
« Avec le recul, je me rends compte à quel point il était important de poser des bases dans les premières semaines », note Najat Vallaud-Belkacem qui se réjouit d’avoir pu rapidement nommer un haut fonctionnaire à l’égalité dans chaque ministère, ou encore mettre en place des études d’impact en amont des projets de loi (Voir : L’égalité s’enracine dans les ministères).
D’autant que le ministère des Droits des femmes en lui-même dispose de peu de moyens. Le financement de mesures, comme le plan contre les violences faites aux femmes, ne peut se faire « que parce qu’on va chercher de l’argent dans les autres ministères ». De fait, « je n’arriverais pas à travailler si j’étais enfermée dans mon seul ministère », souligne Najat Vallaud-Belkacem.
Roselyne Segalen revient sur le projet de loi « antisexiste » d’Yvette Roudy. Ce texte, proposé en 1983 mais vite enterré, « nous a inspirés », note Najat Vallaud-Belkacem. Le projet de loi actuel « suit la même logique » : c’est un texte « dans lequel on parle à la fois d’égalité professionnelle, de sexisme, des médias, de la précarité, des violences (…) pour faire système, parce que les inégalités font système ».
Depuis l’époque où Yvette Roudy proposait cette loi, certaines choses se sont arrangées, ajoute Najat Vallaud-Belkacem. Elle avait à l’époque affronté la résistance des publicitaires ; désormais, l’agence de régulation de la publicité, l’ARPP, peut agir. Avec efficacité ? Autour de la table, les avis divergent.
La ministre s’étonne aussi des résistances à l’article 17 de son projet de loi qui renforce les responsabilités des hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet face aux propos sexistes (Voir Sexisme sur internet : hébergeurs et FAI au rapport).
Les lectrices et lecteur ayant participé à cette rencontre :
Rachel Adil, formatrice en insertion, conseillère municipale |
Estelle Eulriet, informaticienne | ||
Maud Carlus, journaliste | Lucie Larrey, mi-étudiante, mi-salariée, en apprentissage dans la finance | ||
Michelle Colmard-Drouault, cadre social retraitée, ancienne syndicaliste | Sabine Lochmann, directrice générale de BPI Group | ||
Anne Doizy, directrice JWT Paris | Ariane Mansouri, consultante | ||
Patrice Duchampt, archiviste, membre de Zeromacho | Roselyne Segalen, agent d’artistes, féministe engagée |
PHOTOS : BEATRICE LAGARDE