
Image de la campagne « Red Card » contre le trafic d’être humains, de l’association Free Generation International
40 000 prostituées supplémentaires en Afrique du Sud à l’occasion de la Coupe du monde de football ? Ce nombre, répété à l’envi, est fantaisiste. Le phénomène n’en est pas moins réel. L’événement sportif, qui drainera son lot de supporters et d’argent, amplifiera un trafic, déjà existant, de femmes et d’enfants à des fins de travail ou de prostitution. Un problème d’autant plus critique que le Sida ravage le pays, et y reste souvent tabou.
La venue en masse de prostituées en Afrique du Sud, à l’occasion de la Coupe du monde de football qui débute le 11 juin, fait les choux gras des médias. Elles seraient 40 000 à affluer dans le pays, le nombre se répète au fil des articles.
A l’approche de la Coupe du monde 2006 en Allemagne, le même nombre de 40 000 prostituées venues ou acheminées dans le pays spécialement pour l’événement avait circulé dans tous les médias. Et pourtant, lors de la compétition, les autorités allemandes n’avaient relevé que quelques cas de trafic d’êtres humains. C’est ce que relevait le Conseil de l’Europe au début de l’année 2007, concluant : « L’augmentation de la prostitution forcée et du trafic humain en vue de l’exploitation sexuelle pendant la Coupe du monde 2006 en Allemagne, que certains craignaient, ne s’est pas concrétisée ».
Pour autant, cette réalité est aussi à mettre au compte de la stratégie efficace mise en oeuvre par les autorités allemandes afin de lutter contre le trafic et la criminalité sexuelle. Organisateurs, police, associations, services sociaux et villes hôtes des matchs avaient travaillé ensemble pour traiter la situation, à la fois sur le terrain policier et sur celui de la prévention.
Nombre imaginaire, réalité implacable
Ce nombre de 40 000 prostituées supplémentaires pour la Coupe du monde en Afrique du sud n’est-il donc qu’un fantasme ?
Au fil des articles, il est attribué parfois aux « organisateurs de la Coupe du monde », parfois à l’officielle Central Drug Autority sud-africaine. La réalité est plus complexe car si le vice-président de cette autorité a effectivement évoqué ces quarante milliers, début mars, il reconnaissait dans le même temps l’origine indéterminée de ce nombre.
« Il n’y a absolument aucun fondement à ce nombre », ajoutait le 24 mars Virginia Tilley, co-auteure d’un rapport sur le trafic d’être humains en Afrique du Sud pour le Human Sciences Research Council. Un rapport détaillé , le premier du genre, commandé dans l’optique du mondial de football mais qui dresse un état des lieux le plus complet possible.
Virginia Tilley met en garde contre les « statistiques alarmistes », mais reconnaît qu’au-delà des fantasmes sur le nombre, la question n’en reste pas moins cruciale. Le nombre de prostituées augmentera durant le Mondial sud-africain, durant lequel près de 500 000 spectateurs sont attendus. « L’argent est roi, et si vous êtes un(e) travailleur(euse) du sexe, il y aura de l’argent » pendant la Coupe du monde, a reconnu Davis Baverer.
Lors de la tournée de l’équipe de rugby des Lions britanniques en 2009, les bordels et les nights-clubs des villes qui accueillaient les tests-matchs « ne pouvaient répondre à toutes les demandes », note le Human Sciences Research Council qui a interrogé des gérants de ces établissements.
L’Afrique du Sud est à la fois une plaque tournante et un pays de destination du trafic d’êtres humains, particulièrement des femmes, et principalement pour l’exploitation sexuelle. Les flux proviennent d’Afrique mais aussi d’Asie et d’Europe de l’Est. Les grandes villes du pays sont considérées comme des destinations privilégiées du tourisme sexuel. En particulier des enfants, qui seraient environ 30 000 à se prostituer, la moitié d’entre eux ayant moins de 15 ans.

Image de la campagne « Red Card » contre le trafic d’être humains, de l’association Free Generation International
Car, au-delà de l’arrivée annoncée, d’Europe de l’est ou d’autres pays d’Afrique, de travailleuses du sexe, c’est la question du tarif d’enfants, et la prostitution d’enfants sud-africains eux-mêmes, qui inquiète les autorités.
Enfants, Sida, zones d’ombre
La faute en partie au VIH, qui frappe 16 % de la population sud-africaine – et peut-être la moitié des prostituées -, quand dans le pays le Sida reste souvent un tabou. Et les jeunes filles et garçons intéressent les réseaux de prostitution, car ils sont perçus comme des sujets moins à risque. Dans le cadre de la Coupe du monde, le trafic de jeunes esclaves sexuels risque de concerner nombre d’enfants des campagnes sud-africaines. Davis Bayerer exprimait d’ailleurs cette préoccupation, d’autant que la Coupe du monde se déroule en période de vacances scolaires. « Des enfants de familles rurales pauvres seront appâtés par des criminels leur disant qu’il y a du travail pour eux dans les grandes villes ».
A l’image de l’Allemagne en 2006, les autorités sud-africaines, avec le concours d’ONG, ont mis en place plusieurs mécanismes pour prévenir le trafic humain lors de la Coupe du monde. Le pays a renforcé sa législation à l’encontre du trafic et de l’exploitation sexuelle. Mais des zones d’ombres subsistent. Celles, en particulier, où sont reléguées les prostituées à l’approche de la compétition.
Plusieurs associations de défense des droits de l’Homme dénoncent le choix des autorités de débarrasser les centres-villes des prostituées, mais aussi des mendiants et des enfants des rues, pour les parquer en périphérie. La répression renforcée des travailleurs et travailleuses du sexe risque de les pousser plus encore à la clandestinité, ce qui augmente les craintes des associations quand aux risques de propagation du VIH.
Le Human Sciences Research Council regrette une autre zone d’ombre. Si les efforts de prévention accomplis à l’égard de la prostitution sont réels, un autre aspect du trafic d’êtres humains reste occulté : l’esclavage de travail, qui accompagnera le boom économique généré lors de la compétition, et qui là encore concernera en grande majorité des femmes et des enfants.
Et l’institut d’énumérer les facteurs qui facilitent et aggravent le trafic humain en Afrique du Sud, qui n’a pas commencé ni ne s’arrêtera avec la Coupe du monde de football : « la pauvreté et les inégalités ; le manque d’éducation et d’emploi dans le pays et les pays voisins ; la porosité des frontières ; la complicité de certains fonctionnaires ; le manque de personnel pour identifier et appréhender les cas de trafic ; et les croyances sociales qui tolèrent la violence contre les femmes et les enfants ».
