ENTRETIEN. Pour la première fois à l’ONU, un.e représentant.e français.e a demandé la reconnaissance du terme « féminicide ». La ministre des Droits des femmes revient pour Les Nouvelles NEWS sur son discours, sur l’avortement, les réfugiées mais également la légion d’honneur au prince héritier d’Arabie saoudite.
A la 60ème session de la Commission des Nations Unies de la condition de la femme vous avez porté un message fort : celui de la reconnaissance du féminicide des femmes Yézidies par Daech. Féminicide, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Ma conception du féminicide est celle d’un meurtre de femmes – plutôt au pluriel mais ce peut être aussi au singulier – en raison uniquement de leur sexe. C’est-à-dire que c’est une volonté de destruction, de persécution de femmes uniquement parce qu’elles sont des femmes. Cela se rapproche de la notion de génocide.
Votre prédécesseure, Pascale Boistard, parlait en 2014 de féminicide pour évoquer les violences faites aux femmes en France. Le féminicide en tant que meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme.
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Pour ma part, j’emploie le mot féminicide dans des circonstances différentes. Je l’emploie pour les femmes Yézidies qui sont effectivement persécutées, vendues comme esclaves sexuelles parce qu’elles sont Yézidies et femmes. Un féminicide, c’est aussi le sort de ces jeunes femmes enlevées par Boko Haram, ou encore la tuerie de Montréal au lycée Polytechnique en 1989, où un homme a tué quatorze étudiantes en criant : « Je hais les féministes ».
C’est une notion relativement nouvelle, donc on peut discuter de son usage. Je pense du mot féminicide, comme du mot génocide d’ailleurs, qu’il faut le réserver à des situations précises et à une intention de tuer ou de persécuter par haine ou mépris des femmes.
Un homme qui tue sa femme, ce n’est pas un féminicide ?
Moi, je n’emploie pas le mot féminicide dans ce cas-là. Je pense que c’est plus fort si on réserve ce mot à des persécutions qui sont extrêmes, pensées et ont, le plus souvent, un caractère collectif. Dans la guerre ou la barbarie, tout n’est pas génocide.
Donc aux féministes qui demandent d’introduire la notion de féminicide dans le code pénal, vous dites non ?
Il n’est pas utile de chercher des polémiques entre féministes. Cette semaine, je suis allée à New York, devant les Nations Unies, j’ai employé le mot féminicide et j’ai demandé à ce qu’il entre dans le vocabulaire diplomatique, avec les conséquences que cela peut éventuellement avoir sur la jurisprudence de la Cour Pénale Internationale.
C’est la première fois que ce terme est employé par un représentant d’un gouvernement sur la scène onusienne. J’ai fait ce que personne n’avait jamais fait auparavant.
Lors de vos discours à la CSW 60 vous avez également évoqué les violences sexuelles envers les réfugiées pendant leur parcours. Concrètement, dans les camps d’hébergement en France, qu’est-ce que vous allez mettre en place ?
Je vais rencontrer très rapidement les associations, les ONG qui sont présentes à Calais. D’abord pour faire le point avec elles sur leurs actions, pour sécuriser la présence de Gynécologie Sans Frontières, échanger sur les prises en charge d’un point de vue sanitaire et d’un point de vue psychologique auprès des femmes migrantes. Il faut s’organiser dans la durée.
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On peut d’ailleurs présumer que de nombreuses femmes migrantes ont été victimes, à un moment donné, de viol. D’où l’importance de sensibiliser également les ONG qui pourraient ignorer cette spécificité. Il faut appréhender les femmes migrantes comme une communauté de victimes de violences sexuelles.
Vous aviez annoncé la présence de centres d’hébergement non mixtes, réservés aux femmes et aux enfants. Est-ce que vous allez développer ce concept ?
C’est compliqué, parce que ce centre d’hébergement réservé aux femmes et enfants existe et n’est pas plein. Des femmes sont avec des hommes, leur homme, et elles ne veulent pas pour autant le quitter pour une prise en charge spécifique. Les centres d’hébergement réservés aux femmes, ce sont les femmes seules qui y recourent, mais celles qui sont en couple refusent cette solution qui est une solution de séparation. Il faut donc avoir les deux options.
Enfin, la France s’est positionnée à l’ONU en leader d’un mouvement pour le droit à l’avortement et plus largement des droits des femmes. Un symbole fort. Mais dans la même période, François Hollande remet la légion d’honneur au prince héritié d’Arabie saoudite. Cela ne vous gêne-t-il pas ?
Les relations diplomatiques et les légions d’honneur qui s’y rapportent ne relèvent pas de mes compétences mais de celles du quai d’Orsay. J’imagine bien que ce n’est pas au titre des droits des femmes qu’il a reçu sa légion d’honneur mais sans aucun doute pour d’autres raisons ou traditions.
Ça ne brouille pas la lecture que les Français.e.s peuvent avoir de vos actions ?
Ce sont deux questions différentes. La vie est ainsi faite qu’on peut, d’une part faire des alliances sur certains sujets avec les uns et d’autre part être sans concession avec les mêmes sur d’autres sujets.
Concernant l’avortement par exemple, la France est exigeante. Depuis les engagements de Pékin en 1995, il y a des choses qui ont formidablement progressé mais on observe en même temps aujourd’hui sur la planète des régressions à l’œuvre, soit par le fait d’extrémisme religieux, soit de relativisme culturel. Cela autorise certains pays à porter atteinte aux droits des femmes et à le revendiquer devant l’ONU au nom des traditions !
Je comprends un pays qui dit « Je ne peux pas, je n’y arrive pas, on n’a pas de moyens assez développés, c’est dur » ; mais le pays qui dit « Les femmes ne doivent pas avoir accès à l’avortement ou à l’école parce que ce sont des femmes » est un pays dont il faut limiter l’influence au sein des Nations Unies.
C’est important qu’un pays comme la France, dont la voix est forte et attendue, pose des principes sur les droits des femmes. C’est important car face à ce groupe de pays qui agit contre les droits des femmes, il y a toute une série d’autres pays qui sont plus hésitants. Une parole forte est nécessaire pour tenir les équilibres au sein des Nations Unies. La France doit tenir ses positions car c’est en faisant face qu’on résiste aux menaces de régression, et qu’on permet à des pays d’avancer.
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