Avec le procès Carlton DSK, les médias français ont brisé l’omerta sur la violence du système prostitutionnel. Au point d’éviter que le Sénat n’enterre une proposition de loi. Mais ceux qui parlent de « libertinage » quand d’autres dénoncent des « violences » dominent encore l’espace médiatique.
C’était attendu. Le parquet a requis la relaxe « pure et simple » pour Dominique Strauss Kahn dans le procès de l’affaire du Carlton. Attendu, car le parquet, lors de l’instruction, avait déjà requis un non-lieu. L’accusation de « proxénétisme aggravé », pour laquelle il était jugé avec une dizaine d’autres prévenus, ne peut être retenue à son encontre, estime le procureur de la République. A l’encontre des autres prévenus, notables lillois, il a requis des peines de prison avec sursis, et un an de prison ferme à l’encontre du proxénète Dodo la Saumure. Le jugement ne devrait pas être rendu avant plusieurs semaines.
Pour le parquet, les débats n’ont pas permis d’affirmer que l’ex-directeur du FMI (c’était sa fonction à l’époque des faits) avait conscience que les femmes qui lui étaient proposées étaient des prostituées.
Cette naïveté a toujours été rendue crédible par des médias français toujours prompts à faire passer la prostitution pour un aimable divertissement où des types-comme-tout-le-monde rencontrent des filles épanouies. Libertinage, parties fines… les mots masquent les réalités sordides. Dès le premier rapport préalable à la proposition de loi sur le système prostitutionnel, les médias tendaient le micro aux clients de prostituées (voir Prostitution : les clients occupent les médias) oubliant de dire que plus de 85% des prostituées sont issues du trafic d’êtres humains, contraintes par des proxénètes et ont une histoire personnelle douloureuse. Deux faces d’une même information. Une face clients éclairée au point de rendre aveugle à l’autre face, celle de la vie des prostituées.
Avec l’affaire DSK Carlton de Lille, les prostituées ont été entendues et leurs récits amplifiés par les médias. Les journalistes qui suivaient le procès du Carlton au tribunal de Lille n’ont pas pris à la légère les témoignages des anciennes prostituées. Les mêmes qui tendaient complaisamment le micro aux clients se sont mis à faire de longs récits des témoignages, décrivant par le menu les circonstances de l’entrée en prostitution. Jamais glamour. Une enfance faite de brutalité, des frigos vides et des enfants qu’elles veulent garder, …. Décrivant aussi l’exercice de la prostitution fait de rapports forcés, d’alcool pour supporter, de viol collectif dans les toilettes… Dès les débuts de cette affaire du Carlton, fin 2011, le tournant avait été amorcé. L’enquête révélait la violence des mots précédant la violence des actes : les femmes étaient considérées comme du « matériel ». (Voir : DSK et le « matériel »).
Aujourd’hui, les regards ont peut-être changé. « Nous ne ricanerons plus à l’évocation des “parties fines”. Nous disserterons moins sur la prostitution plus ou moins choisie », annonçait dans sa plaidoirie finale M e Emmanuel Daoud, l’avocat de l’association le Nid, partie civile. Le procureur de la République était sur la même ligne : « Ce qui m’a frappé à l’instruction et à l’audience, c’est l’absence totale de considération pour les femmes qui sont ravalées au rang de simples objets de plaisir » (Réquisitoire rapporté par la chroniqueuse du Monde Pascale Robert-Diard).
Ces événements feront-ils changer durablement le regard sur la prostitution et les violences sexuelles ?
DSK ne sera sans doute pas condamné à Lille, parce qu’il n’était finalement qu’un client. Un client alors influant, qu’un réseau d’aigrefins fournissait en prostituées à son insu donc pour s’assurer de ses bonnes grâces. Rien de condamnable pénalement. Mais en plein procès, le Sénat a fini par inscrire à son ordre du jour la proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » (Voir : La loi sur la prostitution enfin à l’agenda du Sénat)… Alors qu’il était bien parti pour l’enterrer.
Le texte qui sera examiné à la fin du mois de mars prévoit, entre autres, de faire de l’achat de services sexuels un délit. Une mesure qui fait polémique. En commission, des sénateurs ont supprimé ce volet prévoyant la pénalisation des clients. Sera-t-il rétabli en séance ? Les débats permettront d’observer si le procès du Carlton a effectivement fait évoluer les mentalités.
Violences sexuelles, histoires de points de vue. En avril 2011, quand un rapport parlementaire sur la prostitution est sorti, les médias se sont focalisés sur une seule des 80 mesures préconisées : la pénalisation du client. Oubliée la traite des femmes, masqués les réseaux de proxénétisme, ensevelies les conditions de vie des personnes prostituées… (Voir Prostitution : les clients occupent les médias ). Puis l’affaire du Carlton de Lille a commencé à pointer son nez. Et ce fut l’occasion certains médias de présenter le proxénétisme sous un jour avenant. Point d’orgue : une chaîne de télévision a tendu le micro pendant 20 minutes au plus célèbre des proxénètes (voir Dodo chez Taddeï : prostitution heureuse sur le service public ) sans aucune contradiction avant, pendant ou après. Il a fallu que les associations de battent pour que le CSA sanctionne le présentateur de l’émission (voir Taddeï « complaisant » avec le proxénète Dodo la Saumure, juge le CSA. Avant que la proposition de loi n’arrive devant l’Assemblée, les clients décomplexés ont remis ça (voir : Prostitution : les clients crient avant d’avoir mal ) orchestrant un bruit médiatique couvrant tout autre discours. |