Dans la bande dessinée Le Genre du capital, les sociologues Céline Bessière et Sybille Gollac lèvent le voile sur la fabrique des inégalités de patrimoine entre les hommes et les femmes. Une enquête graphique passionnante.
Pourquoi les femmes sont-elles moins riches que les hommes ? Les sociologues Céline Bessière et Sybille Gollac ont tenté d’élucider le mystère. Dans leur essai Le Genre du capital paru en 2020, aujourd’hui adapté en Bande dessinée, elles racontent les vingt années qu’elles ont passées à enquêter sur les transmissions de patrimoine au sein de la famille et analysent ces situations à travers le prisme du genre. Un critère (essentiel) que leurs collègues masculins n’avaient jusqu’alors jamais inclus dans leur analyse. Avec cette adaptation en BD, mise en image par la dessinatrice Jeanne Puchol, le duo de sociologues veut rendre plus accessible le propos pour que les femmes se saisissent de ces questions !
Histoires de familles
Dans la BD, les deux chercheuses deviennent des personnages qui guident leur lecteur et lectrice dans les méandres de leur sujet d’étude. Dès le départ, elles posent les bases de façon claire et concise. Puis elles sont mises en scène dans des situations concrètes (face à un notaire, un avocat…). On refait l’enquête avec elles. C’est passionnant et édifiant !
Au fil des pages, peu importe le milieu, les femmes se retrouvent systématiquement désavantagées. Pourquoi ? Céline Bessière et Sybille Gollac décryptent les mécanismes du système capitaliste et patriarcal qui tient les femmes à distance des questions économiques et les cantonnent à la sphère émotionnelle. Qui n’a pas déjà assisté ou vécu la situation : lors du décès d’un parent, c’est le frère qui s’occupe des démarches quand sa sœur gère la partie relations familiales du décès ? Ça n’a l’air de rien mais c’est un premier domino qui in fine lèse les femmes. Au point que lors de succession, la nature des biens transmis implique souvent une différence sur le long terme. Nombre de familles privilégient le leg de biens immobiliers, à la valeur intrinsèquement plus élevée, aux hommes.
A cela s’ajoute, bien sûr, le véritable nerf de la guerre : la question du travail domestique fourni gratuitement par les femmes. Pendant qu’elles allègent leur temps de travail rémunéré pour réaliser ce travail gratuit, pendant qu’elles aident bénévolement leur mari entrepreneur, le patrimoine de monsieur augmente, celui de madame s’étiole.
Le fossé continue de se creuser
Et ces inégalités ne baissent pas, au contraire, elles semblent même empirer ! Une récente étude, menée par Marion Leturcq et Nicolas Frémeaux, évalue leur progression de 9% à 16% entre 1998 et 2015. Affolant… En résumé, la BD dénonce tout un système pétri de biais sexistes, qui condamne les femmes à s’appauvrir.
À la différence de l’essai paru en 2020, la BD est très concrète. Les sociologues sont mises en scène mais surtout les situations qu’elles décrivent sont incarnées dans de petites histoires de familles… Puisque c’est au cœur de la sphère familiale que se trament et se nouent les inégalités. En outre, malgré le sérieux du sujet, l’approche narrative ne boude pas un certain humour puisque des chats se font les passeurs de ces histoires et de ces concepts qui auraient pu être trop denses. Une bande dessinée à mettre entre toutes les mains des femmes décidées à prendre leur indépendance financière !
Le Genre du capital de Céline Bessière et Sybille Gollac (scénario) et Jeanne Puchol (dessin). Éd Delcourt, 128 pages, 21,90€.