Faire le beau au prix du laid. C’était le pari de Denise Fayolle lorsqu’elle a recruté Andrée Putman chez Prisunic en 1958. La styliste décédée samedi a révolutionné « le bon goût » qu’elle disait détester.
Les hommages à la « grande dame du design », Andrée Putman, décédée samedi se multiplient dans le monde du design et de la mode. Mais penser le design c’est aussi transformer la société, c’est faire œuvre politique. Née en 1925 dans une famille bourgeoise, la créatrice de Studio Putman semblait se destiner à une carrière de pianiste, poussée par sa mère. Sa vocation n’a pas été contrariée longtemps. Elle devient coursier pour la revue Femina et collabore petit à petit à des revues de design. En 1958, Denise Fayolle la recrute chez Prisunic où elle s’emploie « à faire de belles choses pour rien » dans l’univers de la maison. Une démarche qui donne un élan décisif à ce qui s’est longtemps appelé « magasin populaire », par opposition aux « grands magasins » des boulevards haussmanniens de Paris.
« Bon goût »
En 1968 elle s’illustre dans l’agence de style Mafia puis crée avec Didier Grumbach, en 1971, une nouvelle société de développement du prêt-à-porter et du textile : Créateurs et Industriels qu’elle aménage dans un ancien entrepôt de la SNCF.
Ce n’est qu’à 53 ans qu’elle créera sa propre société « Ecart » … Car elle se sent toujours à l’écart du « bon goût » qu’elle dit ne pas aimer. Un bon goût qu’elle avait déjà contesté à 15 ans lorsqu’elle avait vidé sa chambre de tous les objets qui l’encombraient, « trop marqués de signes du passé, de signes du statut social et de l’arrogance d’un milieu ». Elle aime les matières brutes, le dépouillement, la conciliation des matériaux « riches » et « pauvres » et réinvente l’art de vivre dans les appartements. Elle sera l’une des premières en France à vivre dans un loft.
Damier noir et blanc
Il faudra attendre la reconnaissance par les Etats-Unis pour qu’on s’arrache ses services en France et partout dans le monde. L’hôtel Morgans à New York en 1984 sera déterminant. Elle impose le fameux damier noir et blanc, sa signature, son style « chic mais pas ostentatoire ». Et constate : « c’est parce que j’ai commencé à travailler à New York, que les Français m’ont réclamée ». Elle signera ensuite l’intérieur du Concorde en 1994. On lui doit les rééditions de meubles et de luminaires des années 1920 et 1930 (Robert Mallet-Stevens, Eileen Gray…), la décoration de nombreux hôtels, musées, boutiques de luxe partout dans le monde. A Paris, la création de la boutique Guerlain des Champs-Elysées en 2005 fut un événement, comme la Voie Lactée, le piano à queue qu’elle a dessiné pour Pleyel en 2008 avec à nouveau le damier noir et blanc. En 2010, l’Hôtel de Ville de Paris accueille une exposition retraçant sa vie qui attira plus de 250 000 visiteurs.