Des plaintes pour agression sexuelle classées sans suite. Des dénonciatrices sur le banc des accusé·es. A l’occasion du procès en diffamation intenté par Christophe Girard, soutien de Gabriel Matzneff, un collectif lance un appel à en finir avec les « procédures bâillon ».
Les 14 et 15 mars prochains à 13 h 30 à la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris se tiendra le procès de six militantes féministes. Elles doivent affronter une plainte en « diffamation et injures publiques » de Christophe Girard, ex-adjoint à la culture à la mairie de Paris (de 2001 à 2020). Une plainte qu’il avait déposée en juillet 2020.
Plainte en diffamation
Son soutien actif à l’écrivain Gabriel Matzneff visé par une enquête pour « viols sur mineurs » avait été révélé. Et plusieurs élues et militantes avaient alors appelé à sa démission s’attirant, en un premier temps, les foudres de la maire de Paris. Puis, exclu de la majorité municipale, Christophe Girard avait porté plainte contre ces militantes, lesquelles ont été mises en examen le 28 janvier 2022.
Dans une tribune publiée dans Libération ce lundi 11 mars, celles qui vont se retrouver sur le banc des accusé·es jeudi prochain sont rejointes par d’autres militantes ayant subi les mêmes « procédures bâillon ». Ensemble, elles appellent à « adopter en France des mesures législatives pour rendre ces procédures difficiles, voire impossibles ».
Les procédures bâillons ont en effet longtemps été efficaces pour les hommes accusés de violences sexuelles. Bénéficiant souvent de classements sans suite, ils attaquent les plaignantes en diffamation, ils leur imposent de longs et coûteux procès et intimident ainsi toutes celles qui pourraient vouloir dénoncer des violences sexuelles.
Les lacunes du système
Mais la liste de celles qui ne veulent pas renoncer à dénoncer les agresseurs s’allonge. Ces femmes jusqu’ici isolées, se soudent, des élues ont bien l’intention d’inscrire leurs revendications dans la loi et quelques décisions récentes de juridictions européennes pourraient bien contraindre la justice française à revoir sa copie.
Car le système français présente de graves lacunes. « La procédure en diffamation a ceci de particulier que le renvoi devant le tribunal correctionnel est quasi automatique » … « Contrairement aux plaintes pour des violences sexuelles qui, elles, font massivement l’objet de classements sans suite ou de non-lieu à poursuivre. » écrivent les autrices de la tribune.
La tribune dresse une liste d’hommes connus qui se sont récemment lancés dans des procédures bâillon. Dernier en date : le réalisateur Jacques Doillon qui a annoncé son intention de déposer une plainte en diffamation contre Judith Godrèche, ou PPDA qui a tout de même montré des hésitations sur cette stratégie.
La justice condamne de plus en plus ces procédures bâillon
Car l’attaque en diffamation n’est plus une bonne option pour nier les agressions sexuelles écrivions-nous en mai 2022 : en Cassation, Pierre Joxe et Eric Brion, avaient été définitivement déboutés de leurs poursuites en diffamation contre deux femmes qui les accusaient de violences sexuelles, Ariane Fornia pour le premier et Sandra Muller, autrice de #BalanceTonPorc pour le second. La cour de Cassation motivait ainsi sa décision : les propos incriminés, outre le fait qu’ils reposaient « sur une base factuelle suffisante » pour leur reconnaître « le bénéfice de la bonne foi » contribuaient bien à « un débat d’intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes ».
Avant cette décision rappelons que la « procédure bâillon » intentée par l’ex-député, Denis Baupin, accusé d’agression sexuelle, lui est revenue dans la face en boomerang. Sa plainte en diffamation a été qualifiée de « procédure abusive » en 2019.
Lire : BAUPIN CONDAMNÉ POUR PROCÉDURE ABUSIVE. HISTORIQUE !
Ce qui n’a pas empêché d’autres hommes comme Nicolas Hulot, de tenter la plainte en diffamation puis la retirer discrètement.
… Mais il faut faire évoluer la loi
Les signataires de la tribune appellent à imiter les Etats-Unis dont la législation prévoit de « rejeter sur demande, en début de procédure, ce qui apparaît comme étant une procédure-baillon. »
Elles appellent à adopter des dispositions pour renforcer la protection des lanceurs et lanceuses d’alerte.
Ce sera encore un long combat car les hommes accusés d’agression sexuelle parviennent souvent à sortir de leur chapeau de nouvelles idées pour échapper à leurs responsabilités. Les signataires rappellent que « Avant le délit de diffamation, c’est le délit de dénonciation calomnieuse qui était le plus souvent utilisé comme mesure de rétorsion contre les victimes. Une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a largement découragé les hommes accusés de violences sexuelles d’y recourir. Le délit de diffamation a alors pris le relais. » (Lire : VIOLENCE SEXUELLE ET DÉNONCIATION CALOMNIEUSE : LA FRANCE CONDAMNÉE)
En attendant, les signataires espèrent être soutenues au Tribunal de Paris jeudi et vendredi prochain.
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*Tribune publiée dans Libération à l’initiative de : Marilyn Baldeck La Collective des droits [plainte de Mathieu Cahn] Céline Piques Militante Osez le féminisme ! [plainte de Girard] et Valentine Rebérioux Avocate, cabinet Pisan et cosignée par des femmes visées par des procédures-baillons:Nora Arbelbide Bibliothécaire [plainte de PPDA] Alix Béranger Militante féministe La Barbe [plainte de Girard] Alice Coffin Conseillère de Paris [plainte de Girard] Margot Cauquil-Gleizes Enseignante [plainte de PPDA] Elen Debost Elue écoféministe [plainte de Baupin] Clémence de Blasi Journaliste [plainte de PPDA] Cécile Delarue Journaliste [plainte de PPDA] Hélène Devynck Autrice [plainte de PPDA] Justine Ducharne Directrice de communication [plainte de PPDA] Stéphanie Khayat Journaliste [plainte de PPDA] Annie Lahmer Elue écologiste [plainte de Baupin] Sandra Muller Directrice de publication [plainte de Brion] Isabelle Perraud Vigneronne, porte-parole de Paye ton pinard [plainte de Riffault] Raphaëlle Rémy-Leleu Conseillère de Paris [plainte de Girard] Laurence Rossignol Sénatrice [plainte de Piron (Jacquie et Michel)] Sandrine Rousseau Députée [plainte de Baupin].