Où se situent les limites de la manifestation des convictions religieuses de salariés au contact d’enfants ? Le retour de l’affaire Baby-Loup devant la justice pose à nouveau cette question, aux réponses contradictoires depuis deux ans.
Nouvelle étape judiciaire pour la crèche Baby-Loup, jeudi 17 octobre devant la Cour d’appel de Paris. Et de nouveau le débat sur le champ de la laïcité est ouvert. Poursuivie par une employée licenciée parce qu’elle refusait de retirer son voile, la crèche de Chanteloup-les-Vignes (78) avait été confortée en première instance, puis par la Cour d’appel de Versailles en octobre 2011. Les enfants gardés à la crèche, « compte tenu de leur jeune âge, n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse », estimaient les juges de Versailles.
Mais en mars 2013 la Cour de cassation jugeait au contraire que ce licenciement constituait « une discrimination en raison des convictions religieuses », soulignant que le principe de laïcité s’applique aux services publics ; il ne peut être invoqué par Baby-Loup, qui est une crèche privée.
Interdiction du port du voile justifiée, pour le procureur général de la Cour d’appel
Jeudi 17 octobre, ce sera donc au tour de la Cour d’appel de Paris de se pencher sur le dossier1, et Le Figaro s’est procuré les 21 pages de conclusions du procureur général. Le jugement qui sera rendu n’ira pas forcément dans son sens, mais c’est un « fait rarissime » selon Le Figaro : ses conclusions contredisent celles de la Cour de cassation.
Aux yeux du procureur général « l’interdiction du port du voile islamique faite à ses salariées par l’association Baby-Loup est justifiée par la nature de son activité et du public pris en charge » : des enfants influençables. Un avis qui rejoint donc celui de la Cour d’appel.
Baby Loup « pas juridiquement délégataire d’une mission de service public »
En juin dernier, dans son premier rapport d’étape, l’Observatoire de la laïcité mis en place par le gouvernement se penchait sur le cas Baby-Loup. Dans cet avis semi-officiel, l’Observatoire estimait la décision de la Cour de cassation fondée en droit. Car si la crèche est investie d’une mission d’intérêt général, elle « n’est pas juridiquement délégataire d’une mission de service public », écrivait Nicolas Cadène, son rapporteur général.
En septembre, ces avis contradictoires conduisaient le Défenseur des droits à en appeler au Conseil d’Etat, pour une « nécessaire clarification » du droit.
Où est la « ligne de partage » ?
D’autant que le jour même où elle donnait tort à Baby-Loup, la Cour de cassation jugeait licite le licenciement d’une salariée de la CPAM (organisme de droit privé assurant une mission de service public) qui portait elle aussi un voile islamique. Et cela même si, par ses fonctions, elle n’était pas en contact avec le public. Il s’agit dès lors de préciser où se situe la « ligne de partage », demande le Défenseur des droits.
Le raté du Sénat Le législateur avait tenté, début 2012, de traiter cette question. Une proposition de loi adoptée par le Sénat entendait faire en sorte que les structures d’accueil de la petite enfance puissent apporter des restrictions à la manifestation des convictions religieuses de leurs salariés au contact de mineurs. Mais, controversé pour ses dispositions à l’égard des assistances maternelles, le texte a finalement été enterré. |
Les avis du Conseil d’État et de l’Observatoire de la laïcité sont attendus avant la fin de l’année. De quoi réalimenter ce débat sans fin.
Quelques lignes auraient tout changé
Et pourtant, si la situation est complexe, elle ne justifie pas la cacophonie actuelle. C’est en substance l’avis rendu fin septembre par la Commision nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), sollicitée par l’Observatoire de la laïcité, dans un avis rendu fin septembre : à ses yeux il n’est pas nécessaire de modifier la loi.
Dans le secteur privé, « la liberté est la règle et la limitation ou l’interdiction de l’expression religieuse est l’exception ». Mais les outils du dispositif juridique actuel permettent « de manière pragmatique » d’interdire l’expression religieuse dans certaines situations, comme dans une crèche. Et la CNCDH de regretter « que ces outils soient mal connus et peu ou mal utilisés ».
Et si la Cour de cassation a condamné Baby-Loup, c’est précisément parce que le règlement intérieur de la crèche n’utilisait pas les bons outils. S’il avait précisé que seules les personnes amenées à être en contact avec les enfants sont tenues à la neutralité religieuse, la crèche aurait été parfaitement armée juridiquement. Quand un grand débat ne tient qu’à quelques lignes…
1 Entre temps, la direction de la crèche a choisi de déménager dans la commune voisine de Conflans-Sainte-Honorine. Pas sans difficultés. Après plus de deux ans de procédure, la décision de la Cour de cassation a contribué à alourdir une « atmosphère locale délétère » sur fond de revendications communautaires, selon directrice de la crèche, Natalia Baleato.