Mona Chollet analyse « la tyrannie du look » déclinée au féminin, son organisation savamment orchestrée par les industries de la mode et ses conséquences. Réduites à leur beauté, les femmes sont maintenues dans une position subalterne. D’où on les croyait sorties.
Etre belle aujourd’hui, c’est l’enfer : mince comme un portemanteau de Karl Lagerfeld, la gorge pulpeuse comme une publicité d’Aubade, le teint lisse comme une « égérie » de Guerlain, la démarche ondoyante d’Audrey Tautou pour Chanel, blanche comme une star hollywoodienne, élégante comme les femmes de Mad Men, épilée comme dans un film porno… On en passe. Jeune surtout, de plus en plus « djeun » et fraîche : on ne se prépare jamais assez tôt, les concours de beauté commencent à 5 ans, on rembourre le corsage des fillettes qu’on maquille et habille en barbies pour les exposer à la Une de magazines. C’est cette tyrannie du look qu’analyse et dénonce Mona Chollet, journaliste au Monde Diplomatique qui tire à boulets rouges sur l’emprise exercée par le puissant « complexe mode- beauté-médias » dans son pamphlet « Beauté fatale »*.
L’homme est un créateur, la femme une créature
L’auteure a analysé les séries télévisées, les films, les magazines féminins et mobilisé de nombreux travaux de sciences sociales français et anglo-saxons… Elle démonte les mécanismes de production du culte d’une beauté standard, uniforme, créée de toutes pièces par les Moïses de la beauté (des hommes le plus souvent), qui se prennent pour des Michel Ange : couturiers, photographes, publicitaires, cinéastes promoteurs d’« égéries de marques ». Car les femmes, ex muses des hommes sont devenues celles des Marques. Une logique sexiste s’introduit progressivement dans la sphère culturelle, d’autant plus insidieuse qu’elle est séduisante et démultipliée par les magazines féminins – produits préférés, rituels beauté, bonne adresses, journées idéales… – accusés par l’auteure de « décervelage ». Sans parler des blogs mode et beauté qui moulinent des recettes et des produits de consommation « jusqu’au au gavage ». Tel le blog « What » : qu’est-ce que vous n’avez pas acheté aujourd’hui ?
Aliénation clandestine
Pour Mona Chollet ce regain de féminité, cette promotion de la jupe et du jupon, sont abusivement instrumentalisés et interprétés comme un féminisme assumé alors « qu’il s’agit pour les femmes d’une véritable aliénation » qui les conduit à « réduire leur valeur à leur apparence, à fonder leur identité sur leur image ». Et à rétrécir singulièrement leur horizon culturel. Attention au retour en arrière, au bon vieux tricot, à la couture et aux petits plats dans son petit intérieur ! Sommées de correspondre à des critères inatteignables, toutes celles qui ne sont pas dans le moule, et donc la majorité des femmes, développent une haine de leur corps, ont recours aux potions magiques, crèmes, onguents multiples et coûteux vantés par les marques, « parce qu’elles le valent bien ». Et s’offrent, à grand prix et non sans dangers, aux bistouris de la chirurgie esthétique dont les avantages sont détaillés par le menu et pour les parties du corps les plus intimes par les magazines féminins. L’économie de la mode et de la beauté centrée sur les femmes, cibles privilégiées de la consommation de masse depuis le début des 30 glorieuses, se porte à merveille : ceci expliquant cela. Alors que se développent chez les filles et les femmes l’anxiété, l’anorexie, la haine du corps… Ce n’est évidemment pas la beauté qui est fatale, mais la subordination à des normes certifiées, comme pour un label qualité. Et Mona Chollet de conclure, à juste titre, que la question du corps pourrait bien constituer un levier essentiel, la clé d’une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans : « de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités du travail en passant par la défense des droits reproductifs ».
*« Beauté Fatale », Mona Chollet. Collection Zone, Editions de la Découverte, 2012.