Cannes 2018 : des gagnantes, une perdante

Nadine Labaki recevant son prix

Dans la compétition officielle, deux des trois réalisatrices ont été primées. Dans les sélections parallèles, quelques femmes ont été récompensées. Mais la critique a outrageusement démoli une des « sélectionnées ».

Elles étaient 19. Dix-neuf réalisatrices dans les sections compétitives du Festival de Cannes, soit 30% des 67 films présentés pendant dix jours sur la Croisette. Des trois réalisatrices « élues » parmi les vingt et un réalisateurs en compétition officielle, deux sont reparties primées. La première, Nadine Labaki, a reçu le prestigieux prix du jury pour Capharnaüm, plaidoyer pour dénoncer la situation des enfants des rues de Beyrouth. Ce qui a offert à la cinéaste une tribune de quelques minutes pour dédier ce film à tous les enfants qui se débattent dans le capharnaüm qu’est devenu le monde d’aujourd’hui. L’italienne Alice Rohrwacher a quant à elle reçu le prix du scénario pour son beau conte Lazarro Felice (prix partagé avec le talentueux Jafar Panahi, iranien assigné à résidence dans son pays).

Parmi les sept films de femmes sur les dix-neuf de la sélection parallèle Un Certain Regard, Sofia a également reçu un prix du scénario : il s’agit du premier film de Meryem Benm’barek sur une jeune marocaine qui accouche hors mariage et doit dévoiler le nom du père de l’enfant. A la Quinzaine des réalisateurs, on comptait cinq femmes pour vingt hommes, mais elles sont reparties bredouilles. Quant à la Semaine de la critique, cette sélection d’un comité de critiques de cinéma projetait une majorité de films de réalisatrices : quatre sur sept premiers ou deuxièmes longs métrages. Deux d’entre eux ont été récompensés : l’indienne Rohena Gera a reçu le prix de la fondation Gan, qui accompagnera financièrement la diffusion de son film, Sir, l’amour impossible entre une jeune domestique et son maitre. Quant à Zsofia Szilagyi, cette jeune hongroise a été remarquée par la presse internationale (Fipresci) pour son premier opus, Egy Nap, ou la journée d’une enseignante quarantenaire, mariée et mère de trois enfants, accablée par la course épuisante de son quotidien. Un film sur la charge mentale en quelque sorte.

Mais le rejet du film d’une réalisatrice témoigne d’une résistance médiatique encore forte : Les filles du soleil d’Eva Husson présenté en compétition officielle a été démoli par la critique internationale et surtout par les Français, comme en témoignaient les notes de 15 journalistes (dont deux femmes) dans le quotidien Le Film Français. L’unanimité du refus du film a été féroce. Les places sont chères pour les Français dans la compétition officielle cannoise (quatre par an en moyenne). La pression médiatique est énorme, davantage encore lorsque « l’élue » est une femme. Les filles du soleil, film populaire et engagé sur le combat des femmes kurdes, de facture plus grand public qu’art et essai, ne méritait en tous cas pas tant de haine.

Capharnaüm de Nadine Labaki, souvent qualifié de film « tire-larmes » n’a pas été épargné non plus par la presse, partagée entre enthousiasme et détestation. Les rumeurs le donnaient vainqueur de la Palme d’or (un film signé par une femme primé par un jury présidé par une actrice militante comme Cate Blanchett) mais le jury a eu la sagesse d’éviter d’offrir un cadeau empoisonné à la réalisatrice libanaise. L’annonce de son prix a été huée en salle de presse pendant la cérémonie. Mais Capharnaüm avait déjà gagné avant même que le palmarès ne le consacre : il a emporté l’enthousiasme des festivaliers, s’est vendu dans le monde entier au marché et représentera le Liban aux Oscar.

Se faire une place au soleil de Cannes est donc un combat à l’issue parfois injuste, la cinéaste Eva Husson l’a appris à ses dépens, Nadine Labaki à son profit.

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