Dans la cour de l’immeuble choisi par Pierre Salvadori pour sa nouvelle comédie douce amère, un concierge triste et une retraitée fissurée dansent un pas de deux. La critique du mardi de Valérie Ganne.
Le terme de comédie douce-amère a sans doute été inventé pour les films de Pierre Salvadori : les héro(ïne)s des Apprentis, de Comme elle respire, de Hors de prix et Après vous, sont des êtres drôlement fragiles qui ont la politesse de ne pas étaler leur tristesse. Mythomane, suicidaire, naïf, fantasque, ces personnages forment des duos où l’un aide souvent l’autre à surnager dans un monde dont le cinéaste aime à souligner l’absurdité.
Dans la cour ne déroge pas à la règle, porté par une retraitée apprêtée qui engage comme concierge un ours mal léché dont la parka lui sert sans doute aussi de pyjama. Le duo est joué par deux nouveaux venus chez le cinéaste : d’abord Catherine Deneuve qui gagne chaque jour sa liberté d’actrice en acceptant de vieillir. Devant une fissure qui gagne du terrain dans son appartement, l’actrice change au rythme de ses sautes d’humeur, passant de la maîtresse femme à la petite fille âgée perdue et mutique.
Quant à Gustave Kervern, lui aussi nouveau venu dans la galaxie des loosers magnifiques de Salvadori, il est parfait en concierge sous addiction. Conscient que la drogue qui l’apaise est aussi ce qui le tue, ce « personnage qui a la tentation de la démission » est évidemment le plus proche -même physiquement- du réalisateur, barbu, hirsute et d’une grande douceur.
Le duo d’Antoine et Mathilde est accompagné par des seconds rôles à la fois burlesques et émouvants : une employée de pôle emploi impliquée et au bord des larmes, un agent de sécurité SDF mystique, un ex joueur de foot voleur de vélos, une vieille dame rousse qui trouve dans sa librairie ésotérique son apaisement poétique. Le personnage le plus « normal » est en fait le moins équilibré : un voisin obsédé par la tranquillité et le contrôle finira par aboyer la nuit dans la cour. Pour que cette humanité de quartier où chacun est un peu perdu retrouve son équilibre, il faudra que l’un d’eux se retire. Fini la comédie ?
Dans la cour de Pierre Salvadori, scénario de Pierre Salvadori et David Colombo-Léotard, avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern, Feodor Atkine, Pio Marmaï, produit par les Films Pelléas, distribué par Wild Bunch, sortie le 23 avril 2014.
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