Un article du Figaro a fait le buzz : le journal compare ce qui n’est pas comparable et ignore les ravages de la masculinité toxique. Débunkage.
Ouin ouin… Quelques jours après la journée Internationale des Droits des femmes, le Figaro publie une classique complainte sur le mode « et les hommes, les pauvres ? » Le journal parle seulement des hommes occidentaux, rois des privilèges, avec ce titre : « En Occident, ces inégalités dont les hommes sont victimes ».
Le chapeau de l’article en dit déjà très long sur les confusions et manipulations qui s’annoncent. « Toxiques, violents, amateurs de barbecues, pollueurs, on peint plus facilement les hommes en coupables qu’en victimes. Pourtant, ils sont eux aussi touchés par d’inquiétantes inégalités. »
Dès l’énoncé des reproches faits aux hommes par « on » (?), le journal met sur le même plan des thèmes assez éloignés. Les « amateurs de barbecue » se retrouvent au même niveau que les hommes violents. Si « on » est un ensemble d’études et de chiffres sur la violence masculine, les données les plus récentes sont accablantes.
Lire : Hausse de la délinquance et plus encore des violences sexuelles en 2022
Et les violences misogynes coûtent très cher aux contribuables. Lire : Violences sexuelles : impunité quoi qu’il en coûte
Le Figaro met cette violence sur le même plan que les « amateurs de barbecues ». Les conservateurs ont toujours en travers de la gorge les rappels des éco-féministes : pour lutter contre le dérèglement climatique, il faut baisser la consommation de viande et les hommes en consomment bien plus que les femmes.
Lire : Ils défendent (mal) leur steak face à Sandrine Rousseau
Et ils sont davantage responsables des émissions de gaz à effet de serre.
Lire : Les femmes émettent 16 % de gaz à effet de serre de moins que les hommes
Alors quelles sont les « inquiétantes inégalités » dont les hommes seraient victimes selon le Figaro ? « Si les hommes occupent en majorité les postes de direction, ils exercent aussi l’ensemble des métiers pénibles. Ils représentent 97% des conducteurs de poids lourds, 98,5% des ouvriers du bâtiment, et 97% des ripeurs, 92% des livreurs de plateformes, 87% des opérateurs de grue… »
C’est bien de reconnaître que les hommes dirigent tout ! Le journal ne va pas jusqu’à évoquer les inégalités salariales qui ruineraient la pertinence de son article… Les chiffres les plus récents sont pourtant accablants.
Lire : 14,8 % d’écart de salaire entre femmes et hommes
Les chiffres sur les « métiers pénibles » sont exacts mais ils occultent une réalité : la pénibilité n’est pas vraiment reconnue dans les métiers exercés majoritairement par les femmes. Les aides à domiciles, aides-soignantes ou assistantes maternelles, par exemple, soulèvent des charges lourdes, plusieurs fois par jour mais ça n’est pas compté comme de la pénibilité. Pour diverses raisons : l’idée passe au-dessus de la tête des dirigeants politiques et syndicaux qui décident de ces critères de pénibilité, les femmes qui exercent ces métiers se sentent coupables de parler de pénibilité quand il s’agit d’humains, et elles sont priées de penser que parce qu’elles sont femmes, leur métier est une vocation et une vocation n’est pas pénible.
Lire : La pénibilité invisible du travail féminin
Autre inquiétude du Figaro : « Au sein des pays de l’OCDE, les garçons ont 50% de chance de plus d’échouer dans les trois matières clés de l’éducation, à savoir les mathématiques, la lecture et les sciences. » Ces chiffres sont exacts mais ça n’empêche pas les garçons d’avoir, par la suite, de plus belles carrières que les femmes. Ils intègrent davantage de grandes écoles et obtiennent de plus beaux postes.
Lire : Les femmes plus diplômées mais bien moins rémunérées que les hommes
Lire : Dépenses d’enseignement supérieur : 18% de moins pour les étudiantes
Cette inégalité de réussite scolaire a été mainte fois analysée. Les attentes projetées sur les filles sont différentes de celles projetées sur les garçons. Elles doivent être obéissantes, discrètes et disciplinées, ils sont valorisés quand ils sont entreprenants. Elles cherchent à obtenir de bonnes notes sans trop savoir ce qu’elles en feront. Ils font le minimum nécessaire à leurs ambitions. Et les stéréotypes jouent à fond dans l’orientation : les filles optent pour des filières moins valorisées que les garçons.
Autre inégalité : « De nombreux hommes souffrent d’une solitude affective et relationnelle : 15% des hommes déclarent ne pas avoir d’amis proches en 2020 – ils étaient 3% en 1990. En France, l’écart moyen d’espérance de vie entre les femmes et les hommes est de six ans. Les hommes se suicident trois fois plus que les femmes. Ils sont aussi ceux qui souffrent le plus de la grande pauvreté : 80% des SDF du territoire hexagonal sont des hommes isolés. »
Ces données sont exactes… mais encore une fois incomplètes. Certaines de ces difficultés affectives sont liées à des stéréotypes. En adoptant une forme de « masculinité toxique », des comportements dominateurs, certains hommes font le vide autour d’eux et souffrent de solitude. Concernant l’espérance de vie et la santé, les stéréotypes handicapent les hommes : prendre soin de soi – et des autres – est perçu comme féminin, prendre des risques avec sa santé est perçu comme masculin.
Et, bien sûr, Le Figaro reprend la classique complainte masculiniste déplorant que les enfants de divorcés soient majoritairement éduqués par leur mère… En occultant évidemment le fait que dans 75 % des cas, les pères ne demandent pas la garde de leurs enfants et, quand ils la demandent, et les rares fois où ils ne l’obtiennent pas, c’est parce qu’ils ont le plus souvent un passé violent. Les aventures des pères perchés sur des grues avaient pourtant montré cette grossière tentative de manipulation de l’opinion. Lire : Le lobbying des pères en haut des grues
Sur les chiffres des Sans domicile fixe et des suicides, il faut relativiser. Les femmes SDF ont tendance à se cacher pour échapper aux violences sexuelles. Et elles font davantage de tentatives de suicide que les hommes (selon une étude). On parle même de suicides forcés.
Lire : Suicides forcés : ces féminicides ignorés
Comme le dit Lucile Peytavin dans son livre Le Coût de la virilité, si les garçons étaient éduqués de la même façon que les filles, cette virilité toxique qui nuit aux femmes et aux hommes ferait moins de ravages.
Sur Twitter, Le Figaro a réussi une belle opération de communication. Si nombre de féministes ont protesté contre cette manipulation, bien des internautes ont joué la même partition que le Figaro. Vous avez dit Backlash ?
Au passage, signalons que pour écrire cet article, nous avons fait des recherches dans Google. A la requête « hommes violents nombre », le moteur de recherche répond par une foultitude d’articles sur les « hommes battus » , il cite même en bonne position le site de SOS hommes battus et plusieurs articles d’actualité sur ce sujet fait par de grands journaux. L’intelligence artificielle est programmée par les dominants qui reprennnent le vocabulaire et le point de vue des agresseurs…
Lire : Intelligence artificielle et bêtise sexiste réelle
Même si cet article a été critiqué sur les réseaux sociaux, Le Figaro est bien plus puissant que ces critiques. De riches médias écrivent l’histoire contemporaine avec les mots et le point de vue des dominants et influencent l’opinion dans un sens masculiniste.