Jacqueline Sauvage a été condamnée à 10 ans de prison pour le meurtre de son mari, violent et incestueux. Ses avocates réclament une extension de la légitime défense dans les cas de violences conjugales. Est-ce possible ? Explications et entretien avec les avocates.
C’était le 10 septembre 2012. Jacqueline Sauvage, alors âgée de 66 ans, tuait son mari de trois coups de fusil dans le dos, mettant fin à 47 ans de calvaire. Coups, abus sexuels, inceste, les témoignages sont violents. « Il lui fallait toujours un punching-ball pour se soulager », expliquera Sylvie Marot, fille aînée de Jacqueline Sauvage, à la barre du tribunal de Blois, racontant par la suite les viols de son père sur elle-même et ses deux sœurs. Le fils, lui, s’est suicidé la veille du meurtre.
Un douloureux contexte familial qui n’aura pas empêché les jurés de condamner Jacqueline Sauvage à 10 ans de prison. Une peine qui a provoqué une vive émotion : plus de 80 000 personnes ont déjà signé la pétition réclamant la grâce présidentielle pour Jacqueline Sauvage. Et un peu moins de 10 000 euros ont été récoltés par l’association féministe Les Dé-chaînées afin de « rendre un peu moins dure » l’incarcération.
Il faut « repousser les limites de la légitime défense appliquée aux situations de violences conjugales »
Au-delà de l’émotion, lors de sa plaidoirie, l’avocate de Jacqueline Sauvage, maître Tomasini, a demandé aux jurés de « repousser les limites de la légitime défense appliquée aux situations de violences conjugales ». L’article 122-5 du Code pénal relatif à la légitime défense est pourtant clair : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »
Or, Jacqueline Sauvage a tué son mari de trois coups de fusil dans le dos. « La légitime défense n’est pas soutenable » ici, a souligné Frédéric Chevallier, l’avocat général. D’un point de vue purement physique, Jacqueline Sauvage n’était pas en position de légitime défense au moment de l’action. Mais ce qu’espéraient les avocates, c’est que les jurés prennent en compte l’état permanent de stress de Jacqueline Sauvage, « le syndrome de la femme battue ».
Au Canada, l’article 34.2 du Code criminel a été modifié en ce sens. « Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants : [alinéa f] la nature la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace ».
Ainsi, une femme battue n’est pas systématiquement jugée en état de légitime défense. Il s’agit d’avantage d’une marge d’interprétation de la part des jurés qui pourront faire appel à la notion de légitime défense s’ils le jugent nécessaire.
« Restaurer une présomption de légitime défense au profit des femmes serait le pire service qu’on puisse leur rendre »
En France, en 2012, Luc Frémiot avait obtenu l’acquittement d’Alexandra Guillemin. Cette femme battue, menacée de mort à plusieurs reprises, avait tué son mari d’un coup de couteau dans la gorge alors qu’il tentait de l’étrangler. Luc Frémiot, avocat général connu pour sa lutte contre les violences conjugales, avait alors plaidé la légitime défense dans un réquisitoire saisissant, retranscrit ici par la journaliste judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard. L’acte différait considérablement de celui de Jacqueline Sauvage puisque le mari d’Alexandra Guillemin tentait physiquement de la tuer en l’étranglant au moment de l’acte.
Luc Frémiot avait d’ailleurs émis des doutes en janvier 2015, quant à l’extension de la légitime défense pour les femmes battues, lors d’une séance de la Délégation aux Droits des femmes : « Certaines dérives m’inquiètent, notamment la revendication par certaines associations et avocats d’une présomption de légitime défense en ce qui concerne les femmes. Une femme qui tue son mari n’agit pas nécessairement dans un cadre de légitime défense. Or, admettre cette présomption implique que la charge de la preuve revient au Parquet. N’oublions pas que, à l’origine, la légitime défense était une présomption. Ce principe a été remis en cause à la suite d’une affaire judiciaire. Restaurer une présomption de légitime défense au profit des femmes serait le pire service qu’on puisse leur rendre. »
La requête des avocates a tout de même trouvé écho chez quelques politiques. Maud Olivier, députée de l’Essonne et membre de la Délégation aux Droits des femmes, a publié une tribune – « Cas de Jacqueline Sauvage : notre droit doit cesser d’être aveugle aux inégalités entre les femmes et les hommes » – dans laquelle elle questionne la pertinence du code pénal : « Dans notre code pénal, est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte soit pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité, soit pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. Ne doit-on pas modifier le Code pénal pour que, comme pour les cas précités, la personne qui est victime de violences répétées soit présumée en légitime défense ? »
Trois questions aux avocates de Jacqueline Sauvage, « Repousser les limites de la légitime défense appliquée aux situations de violences conjugales ». Concrètement, qu’est-ce-que ça signifie ? Cela signifie prendre la mesure de ce que la définition actuelle de la légitime défense est trop restrictive, archaïque et non adaptée au contexte des homicides conjugaux. A ce titre, soutenues en cela par une députée, nous avons travaillé sur une proposition de loi qui devrait être déposée le 8 mars prochain à l’Assemblée Nationale. L’avocat général, Frédéric Chevallier, a considéré qu’une telle extension de la légitime défense revenait à « accorder un permis de tuer » Non, ce n’est pas une permission de tuer mais une permission de se défendre et de ne pas perdre son intégrité psychique. Quelle est la suite judiciaire ? Dans un premier temps, une demande de relèvement de sûreté auprès du tribunal d’application des peines d’Orléans. Et dans un deuxième temps, une demande de liberté conditionnelle. |