Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay. Quatre résistants, deux femmes et deux hommes, font leur entrée au Panthéon ce 27 mai. Quel(s) sens derrière cet hommage ? Entretien avec Michelle Perrot, historienne et professeure émérite à Paris VII-Denis Diderot.
A l’occasion de la Journée nationale de la Résistance, mercredi 27 mai, Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay font leur entrée au Panthéon. Deux hommes, deux femmes ; cette parité est revendiquée : François Hollande avait annoncé son choix le 8 mars 2014.
Voir : La parité entre au Panthéon
Avec Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion, le nombre de femmes honorées dans le temple des « grands hommes » se retrouve d’un seul coup multiplié par deux – même si l’entrée est symbolique pour les deux femmes concernées, puisque leurs corps ne quitteront pas les tombes où elles reposent.
En effet, jusqu’à ce jour, le Panthéon hébergeait 71 hommes et 2 femmes seulement : Marie Curie et Sophie Berthelot, cette dernière n’y étant entrée que pour accompagner son mari.
Pour Les Nouvelles NEWS, Michelle Perrot, historienne et professeure émérite à l’université Paris VII-Denis Diderot, évoque le message que porte cet hommage. Entretien.
Deux femmes, parmi quatre personnalités, entrent au Panthéon. C’est un symbole fort ?
C’est important que deux femmes entrent dans ce lieu, jusque-là essentiellement masculin ; c’est d’autant plus important que nous vivons dans un monde de symboles. C’est bien aussi qu’il y ait une parité pour respecter un principe d’égalité. Si l’on avait fait entrer quatre femmes, de toute façon on n’aurait pas compensé le déséquilibre. Surtout, ces choix sont incontestables. Ce sont tous de grands résistants.
Que retenez-vous du parcours de ces femmes notamment ?
Elles ont survécu à la déportation après avoir été résistantes. Elles auraient pu s’arrêter là dans leur engagement. Mais ce qui me parait intéressant aussi c’est que toute leur vie elles ont été engagées, pas seulement dans la résistance. C’est aussi cela que l’on célèbre. Germaine Tillion, parce qu’elle s’est engagée contre la guerre d’Algérie, et en tant qu’ethnologue pour mettre en valeur des peuples méconnus. Et Geneviève de Gaulle Anthonioz, qui s’est battue toute sa vie contre les exclusions, notamment à ATD quart-monde, c’est remarquable ! [Voir leurs biographies en bas de l’article]
Que sait-on du rôle des femmes dans la résistance ?
Leur rôle a été complètement sous-estimé. L’image de la résistance a été assimilée à l’image des militaires, donc masculine. Dans la résistance, les femmes ont joué un rôle de messagères, de médiatrices, elles ont caché des réunions. Elles ont en quelque sorte prolongé le rôle traditionnel dévolu aux femmes. C’est une des raisons qui a fait qu’on les a oubliées, comme si elles n’avaient rien fait, alors que les réseaux de résistance n’auraient pas pu vivre sans leur engagement.
« Les femmes de la Résistance, c’est un peu ce que je représente, puisqu’elles n’ont rien eu en 70 ans » Lire le témoignage de Cécile Rol-Tanguy dans notre article de juin 2014 : Les femmes font (aussi) de la Résistance |
Quelles autres femmes auriez-vous eu envie de voir entrer au Panthéon ?
J’aurais beaucoup aimé qu’il y ait également Olympe de Gouges. Je le regrette. Son texte de 1791 sur les droits de la femme et de la citoyenne est fondamental. C’est une femme rebelle à tout point de vue, qui s’est mobilisée pour le divorce, pour la liberté des femmes, pour l’abolition de l’esclavage. Heureusement, son buste sera installé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale pour lui rendre hommage.
Un monument au Panthéon pour Olympe de Gouges : c’est ce que préconisait fin 2013 Philippe Bélaval, le président du Centre des monuments nationaux. Voir : Bientôt un Panthéon normal ? |
Georges Sand aussi, y aurait toute sa place. C’est à la fois une grande républicaine et une grande écrivaine, l’équivalent féminin de Victor Hugo. J’ai fait partie d’un groupe qui militait pour son entrée au Panthéon en 2004. Mais ce qui a empêché son entrée, c’est que des élus d’Indre-et-Loire, où son corps repose, ont refusé que sa dépouille soit transférée. A cette époque, il fallait le corps du défunt pour entrer au Panthéon. Mais puisque les dépouilles de Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion n’y seront pas non plus, peut-être que cela peut changer la donne.
L’Histoire et les femmes, où en est-on ?
La recherche depuis 30 ans a fait émerger une histoire des femmes, avant on parlait seulement de « femmes exceptionnelles ». Maintenant on parle des femmes dans leur quotidien, dans leur profession, dans leur foyer… Dans le grand public, cette histoire bénéficie d’une assez large sympathie. Les gens ont intégré que les femmes ont une histoire. Ce qui reste difficile, c’est au niveau du secondaire, au collège et au lycée, l’histoire des femmes a été introduite très récemment dans les programmes, et ce n’est pas toujours étudié.
Il faut faire attention au mot « histoire », qui a deux sens : cela désigne « tout ce qui s’est passé », là les femmes sont de fait présentes. Mais cela désigne aussi le récit que l’on fait de ce qui s’est passé. Et ça c’est une construction, un choix. Dans ce récit, pendant très longtemps, les femmes c’était le silence. Le rôle de l’historien, ou de l’historienne, c’est de faire advenir les femmes dans le récit de l’Histoire.
Les quatre personnalités entrant au Panthéon :
(Biographies issues de l’exposition « Quatre vies en résistance »,
jusqu’au 10 janvier 2016 au Panthéon)
Pierre Brossolette (1903-1944)
Homme politique et journaliste, Pierre Brossolette dénonce très tôt, dès 1934, le « péril hitlérien » » et, en 1938, les Accords de Munich qu’il considère comme une reculade face à Adolf Hitler. L’expression de cette opposition lui vaut d’ailleurs de perdre sa place de journaliste à la radio publique.
Il combat sous l’uniforme français au début de la guerre, puis entre en résistance au sein du réseau du Musée de l’Homme.
Il conduit ensuite diverses missions pour la France libre du général de Gaulle et devient un des grands orateurs de la Résistance sur la BBC. Arrêté et torturé en 1944, il se défenestre pour ne pas avoir à parler à ses tortionnaires.
Geneviève de Gaulle Anthonioz (1920-2002)
Nièce du général de Gaulle, Geneviève de Gaulle Anthonioz voyage beaucoup dans son enfance car son père est diplomate. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage tôt dans la résistance civile et tente de rallier les résistants à la France libre. Déportée au camp de Ravensbrück, son nom lui vaut d’être mise au secret pour servir de monnaie d’échange avec des prisonniers allemands.
Après la guerre, elle découvre la misère du bidonville de Noisy-le-Grand. Elle décide alors de s’engager à temps plein auprès des plus démunis, à Aide contre toute détresse (ATD) Quart Monde, qu’elle préside à partir de 1964 (Voir aussi sa biographie sur le site d’ATD Quart Monde).
Nommé au Conseil économique et social en 1988, elle lutte pendant dix ans pour obtenir une loi de cohésion sociale. Le combat est gagné en 1998 avec la loi d’orientation sur la lutte contre la pauvreté et les exclusions qui réaffirme l’égale dignité de tous, y compris les plus pauvres.
Germaine Tillion (1907-2008)
Ethnologue, Germaine Tillion part dans sa jeunesse conduire des missions d’exploration dans les montagnes de l’Aurès en Algérie. Elle est une des pionnières de l’étude des sociétés berbères.
De retour en France pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage en résistance au sein du réseau du Musée de l’Homme. Dénoncée, elle est arrêtée puis déportée à Ravensbrück. Au camp, elle s’attache à expliquer le fonctionnement économique du système concentrationnaire pour mieux y résister. Elle écrit également une opérette pendant sa déportation pour résister par le rire face aux nazis.
Après la guerre, elle s’engage pour le développement et la paix en Algérie. Elle lutte également contre les systèmes concentrationnaires dans le monde.
Jean Zay (1904-1944)
Jean Zay est parvenu très jeune à se hisser vers « une des cimes du pouvoir », le ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts lors du Front populaire, en 1936. Il réorganise le secteur éducatif et culturel pour le rendre plus efficace et lance plusieurs projets comme la création du Festival de Cannes, celle du CNRS et de l’ENA. Ces projets, pour certains interrompus par la guerre, furent conduits après sa mort.
Pendant la guerre, Jean Zay démissionne de son ministère et s’engage comme député combattant. Très tôt arrêté, Jean Zay résiste depuis sa prison en travaillant chaque jour à des projets pour la France d’après-guerre. Il en transmet certains de façon clandestine à des organisations de résistance. Prétextant un transfert vers une autre prison, la milice le tue à bout portant pendant le trajet.