Près des trois quarts des femmes journalistes sont victimes de violences sexistes en ligne et une sur cinq hors ligne, indique une étude mondiale de l’Unesco. Ce qui entrave la démocratie.
Les femmes journalistes sont de plus en plus nombreuses mais leur liberté d’expression est sérieusement entravée. 73 % d’entre elles déclarent avoir subi des violences en ligne dans le cadre de leur travail. 25 % déclarent avoir été menacées de violences physiques. 18 % de menaces sexuelles. Et 20 % de ces femmes auraient fait l’objet d’attaques hors ligne en rapport avec la violence qui les visait en ligne.
Ce sont les principaux résultats d’une enquête mondiale menée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) avec le Centre international des journalistes (ICFJ, International Center for Journalists). 901 journalistes originaires de 125 pays se sont exprimées et les chiffres de l’enquête ont été complétés par 173 entretiens approfondis, 15 études de cas par pays et l’analyse de plus de 2,5 millions de messages Facebook et Twitter visant deux journalistes d’investigation, la Britannique Carole Cadwalladr et l’Americano-philippine Maria Ressa, lauréate 2021 du Prix mondial de la liberté de la presse Unesco/Guillermo Cano.
Et c’est pire pour les femmes journalistes noires, lesbiennes ou de certaines origines. Les violences en ligne concernent 64% des journalistes blanches et 81% des journalistes noires. 72% des journalistes hétérosexuelles et 88% des journalistes lesbiennes. Le taux de 20 % d’attaques et insultes hors ligne bondit à 53% pour les femmes journalistes arabes.
Insultes, menaces de mort ou de viol, harcèlement par messages privés, publication de données personnelles (adresse, nom des proches), dénigrement du travail via des « fake news »… Il arrive même que ces attaques en meute soient coordonnées par des agents de l’État dans lesquels vivent ces journalistes.
Quel que soit le sujet sur lequel travaillent ces femmes journalistes, les attaques qu’elles subissent sont d’ordre sexiste (outre le dénigrement de leur travail). « Cela a commencé par des menaces de viol, des menaces de mort, du doxing. » a raconté Rana Ayyub, journaliste d’enquête indienne Lors de la Conférence mondiale sur la liberté de la presse.
Et cela conduit les femmes journalistes à passer sous silence des faits d’actualité qui devraient être dénoncés. 30 % des femmes ayant répondu à l’enquête déclarent s’autocensurer pour échapper à cette violence et 26 % disent en souffrir mentalement. « J’ai voulu quitter les réseaux sociaux, arrêter le journalisme. Ces choses-là n’arrivent pas aux hommes. » poursuit Rana Ayyub.
« Nous devons interpeller les plateformes. Nous devons exiger qu’elles rendent des comptes » a martelé Carole Cadwalladr. L’enquête note que Facebook est considérée comme la plateforme la moins sûre par les femmes journalistes interrogées. Maria Ressa a pu recevoir 90 messages haineux par heure sur Facebook.
Ces femmes journalistes alertent. « Il s’agit d’une limite considérable dans la protection de la liberté des médias » insiste Ferial Haffajee, journaliste d’enquête et rédactrice en chef sud-africaine. « Nous devons tirer la sonnette d’alarme », a ajouté Carole Cadwalladr car rappelle Julie Posetti « cette crise est en train de s’aggraver » et « les femmes ne peuvent pas se permettre de rester dans l’ombre ».