Les femmes seraient biologiquement programmées pour préférer les hommes drôles, c’est inscrit dans leur cerveau : voilà la nouvelle extrapolation journalistique d’une étude scientifique forcément moins affirmative.
Attention, clichés en vue. Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Stanford prouverait que le cerveau des femmes est plus sensible à l’humour que celui des hommes. Et ce, dès le plus jeune âge.
L’étude publiée mardi 30 juillet a été menée auprès d’une vingtaine de garçons et filles âgés de 6 à 13 ans, exposés à des vidéos de différents types (« drôles », « positives » et « neutres »). Et, devant les vidéos drôles, la zone du cerveau liée à la perception de la récompense est apparue plus active chez les filles que chez les garçons.
Les chercheurs en concluent que les différences sexuées face à l’humour existent déjà chez les jeunes enfants. En 2005, ils avaient déjà mené une expérience de ce type auprès d’adultes (une vingtaine là aussi) qui avait abouti à une conclusion similaire.
On peut alors s’attendre à des raccourcis simplistes dans la presse, prompte à véhiculer des messages sexistes sous couvert de vulgarisation scientifique (1). Côté francophone, c’est le journal belge Le Soir qui a lancé l’offensive, affirmant : « les femmes seraient génétiquement prédisposées à préférer les partenaires drôles. Et la nature est bien faite : leurs prétendants aiment ça. » A « génétiquement prédisposées », le journal Sud Ouest qui a rapidement rebondi préfère le terme « biologiquement programmées ». Pour le quotidien : « Les scientifiques le confirment : les femmes sont génétiquement programmées pour succomber aux hommes drôles. » (Mise à jour : comme on s’y attendait, des dizaines de titres ont, depuis, repris l’étude sans le moindre recul. Avec souvent cette accroche : « Femme qui rit, à moitié dans ton lit : c’est scientifiquement prouvé ».)
Génétique vs environnement
Évidemment, les faits sont un peu plus complexes. Le principal auteur de l’étude, Alan Reiss, le développait d’ailleurs lui-même dans l’étude de 2005 : « l’activation de ce centre ne fait pas que signaler quelque chose de plaisant, mais aussi le fait que ce plaisir était inattendu ». Si la zone du cerveau s’est montrée plus active chez les femmes, ce serait donc aussi parce qu’elles se montraient plus sceptiques, avant de les voir, quant à la drôlerie des vidéos.
Les auteurs de l’étude maintiennent par ailleurs le flou sur leurs conclusions. Ils laissent entendre que cette différence de perception de l’humour serait génétique ou biologique. Mais au détour de l’étude, ils admettent que, « étant donné que les enfants, aux âges de 6 à 13 ans, ont déjà été exposé à des facteurs environnementaux significatifs, nous ne pouvons être certains que ces différences sexuées proviennent davantage de facteurs génétiques que de facteurs environnementaux ».
En France, la neurobiologiste Catherine Vidal alerte régulièrement contre les études cherchant à prouver des différences innées entre les cerveaux masculins et féminins. Et pour cause : à la naissance, le cerveau ne possède encore que 10% de ses connexions neuronales. Le reste se construit, et évolue, en fonction de l’environnement. Elle met également en cause la rigueur des études fondées sur des examens par IRM. « On ne peut pas, à partir de vingt personnes, généraliser à toute l’humanité. Il faut de la rigueur scientifique », expliquait-elle par exemple en 2012 sur Rue89.
Les auteurs de cette étude admettent eux-mêmes que le nombre de sujets est « relativement faible », et que « de futurs études sont nécessaires pour valider et généraliser » leur thèse. Avis à la presse.
(1) Lire aussi sur Les Nouvelles NEWS :
Ménage et sexualité : encore un biais sexiste dans la presse
Partage des tâches et divorce : le mauvais titre de l’AFP (et des autres)