Les sénateurs, aux Etats-Unis, ont salué son courage. Ex- collaboratrice de Facebook, Frances Haugen démonte les mécanismes qui privilégient « la croissance sur la sécurité » et appelle à légiférer.
« Hier, nous avons vu Facebook disparaître d’Internet. Je ne sais pas pourquoi ça s’est produit, mais je sais que pendant plus de cinq heures, Facebook n’a pas été utilisé pour diviser, déstabiliser les démocraties et faire en sorte que les jeunes filles et les femmes se sentent mal dans leur corps ». Au lendemain de la grande panne de Facebook, Frances Haugen, la lanceuse d’alerte, qui a travaillé deux ans au sein de la société californienne, a témoigné pendant plus de trois heures devant la commission du commerce du Sénat. Les documents qu’elle avait emportés avec elle en quittant Facekook avaient été en partie présentés par le Wall Street Journal mi-septembre, et montraient que le réseau social avait délibérément caché des recherches préoccupantes sur l’impact négatif d’Instagram (qui lui appartient) sur la santé mentale des adolescentes. Facebook avait réagi mollement.
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Cette fois-ci, la lanceuse d’alerte a révélé son identité lors d’une interview sur CBS puis mardi 5 octobre au Sénat, elle a démontré comment Facebook préfère « donner la priorité à la croissance sur la sécurité », et ignorer les recherches internes montrant que le média social amplifie « le contenu haineux, polarisant et source de division ».
Car le problème n’est pas seulement que les réseaux sociaux tolèrent les contenus haineux, ils conçoivent des algorithmes qui vont avoir tendance à mettre en avant ces contenus. Un exemple cité par Frances Haugen : une personne qui se mettrait à suivre quelqu’un comme Donald Trump verrait rapidement apparaître sur son fil des théories complotistes. L’algorithme met en avant le contenu générant le plus de « likes », de partages et de commentaires et ainsi, privilégie du contenu toxique. Des jeunes filles soucieuses de leur apparence pourront être sollicitées par des communautés faisant la promotion de l’anorexie.
« Dans certains cas, ce discours en ligne dangereux a conduit à une violence réelle qui blesse et même tue des personnes. Dans d’autres cas, la machine d’optimisation des profits génère de l’automutilation et de la haine de soi, en particulier pour les groupes vulnérables, comme les adolescentes. Ces problèmes ont été confirmés à plusieurs reprises par les propres recherches internes de Facebook. » a déclaré Frances Haugen .
Lors de l’audition, le sénateur Richard Blumenthal, président du sous-comité portant sur la consommation, la protection, la sécurité des produits et la sécurité des données a salué le « courage » de la lanceuse d’alerte et a engagé le sénat à règlementer les réseaux sociaux comme il a règlementé le tabac. « À plusieurs reprises, les sénateurs ont comparé l’entreprise à Big Tobacco, une industrie qui fournit des produits addictifs et rentables mais nocifs. L’industrie du tabac s’est finalement vu imposer des restrictions par une loi historique, une initiative que les législateurs ont promis de reproduire », indique le Washington Post.
Qui est Frances Haugen ? A 37 ans, diplômée de management à l’université d’Harvard après des études d’informatique, elle a fait ses premières armes chez Google avant de rejoindre les réseaux sociaux Pinterest et Yelp. C’est en 2019 qu’elle entre chez Facebook en tant qu’ingénieure et cheffe de produit. Elle intègre l’équipe « civic integrity », chargée de lutter contre les discours de haine, notamment pendant les élections. Mais elle se dit rapidement découragée par le manque de moyens lui permettant d’accomplir sa mission. Et fin 2020, de l’équipe « civic integrity » est démantelée par la direction de Facebook, qui dit répartir ses tâches dans d’autres services…
Après avoir envoyé ses collaborateurs au front, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook est sorti de sa réserve selon USA Today. “L’argument selon lequel nous mettons délibérément en avant du contenu qui met les gens en colère, pour des profits, est complètement illogique”, a-t-il écrit. “Nous faisons de l’argent avec les publicités, et les annonceurs nous disent sans arrêt qu’ils ne veulent pas voir leurs publicités à côté de contenus nuisibles ou véhéments. »… Le message de la lanceuse d’alerte n’est toujours pas passé auprès du patron de Facebook, il est temps que le législateur prenne en main le problème.