Bilan d’étape : si Marlène Schiappa tente d’actionner tous les leviers contre les violences conjugales, certains membres du gouvernement jouent la force d’inertie. Des associations s’insurgent.
Quasiment en même temps, mercredi 18 septembre, La secrétaire d’Etat à l’égalité entre femmes et hommes présentait un bilan d’étape du « Grenelle des violences conjugales » et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, sur BFMTV évoquait le sujet avec des réserves confinant au déni. S’il affirmait, comme pour fermer le sujet, que « jamais un gouvernement ne s’est autant mobilisé » c’était pour contester les chiffres « d’un compte twitter » et citer des chiffres « de la justice » qui selon lui affichent une baisse des féminicides depuis 2012. Ce qu’il appelle un « compte twitter» est en réalité le travail du collectif Féminicides par compagnons ou ex qui repère les meurtres de femmes signalés dans la presse. Leurs chiffres sont incontestables a riposté Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, le soir même sur BFMTV « il faut qu’il nous explique laquelle de ces 106 femmes n’est pas morte.» Plus gênée que le ministre de l’Intérieur, Marlène Schiappa a présenté ainsi le chiffre des féminicides 16 jours après le lancement du Grenelle : « c’est un chiffre qui vaut ce qu’il vaut » annonçait-elle avec pincettes . Deux féminicides, soit un tous les huit jours « contre un tous les deux ou trois jours en moyenne habituellement ». (Rappelons que ces chiffres sous-estiment le fléau : voir 433 décès, 3,6 Mds € : les chiffres des violences conjugales ) Mais globalement il n’y a pas, à ce jour, moins de féminicides en 2019 par rapport au 18 septembre 2018.
Autre couac, quelques jours auparavant, les militantes avait été appelées à coller sur les murs des phrases choc dénonçant les féminicides : « on ne tue jamais par amour », « on ne veut plus compter nos mortes » et autres récits macabres. Illico, certaines militantes étaient verbalisées et les affiches arrachées. «Ce qui s’est passé est emblématique : au lieu de nous protéger on nous accuse, déplorait dans Le Parisien, Marguerite Stern qui avait lancé l’appel. On transforme les militantes en délinquantes. Pendant ce temps, on refuse toujours les plaintes de femmes en danger de mort imminente.»
Mais le ministre de l’Intérieur persiste à se montrer content de lui et de l’action de son gouvernement. Du côté du secrétariat d’Etat à l’Egalité, jocker : « Je ne peux pas commenter les décisions de justice » répond Marlène Schiappa, interrogée sur la verbalisation des colleuses d’affiche.
Arme à feu
En présentant le bilan, elle avance une idée qu’aurait pu prendre à son compte le ministère de l’Intérieur afin de prévenir les féminicides. Etudiant les « modes opératoires » des criminels, le Grenelle observe que l’arme à feu arrive en tête (38,1 %) avant l’arme blanche (31,30) puis la strangulation, les coups, la projection dans le vide, l’incendie… « Dans plusieurs cas de féminicides, on a vu que, malgré des plaintes, l’homme violent était encore en possession d’une arme à feu » constate-t-elle. Elle veut que les services de police et de gendarmerie se dotent d’une «grille d’évaluation du danger» dans leurs procédures de réception des plaintes et souhaite ajouter un point sur la détention d’armes.
Cette annonce était la principale nouveauté de ce bilan d’étape qui a repris les dix mesures engagées par le Premier ministre et confirmé que onze groupes de travail thématiques étaient en route pour formuler leurs propositions le 29 octobre : Violences intrafamiliales ; Accueil au commissariat / brigade de gendarmerie ; Education / prévention, Outre-mer ; Santé ; Handicap ; Travail ; Coopération associations / hébergement ; Justice ; Violences psychologiques et emprise ; Violences économiques. 100 Grenelles locaux sont aussi organisés par les préfets.
Les mesures déjà annoncées concernent l’aide aux victimes avec notamment 1000 nouvelles places d’hébergement ou un audit dans 400 commissariats, la généralisation du dépôt de plainte à l’hôpital ou la déchéance de l’autorité parentale. Mais les attentes demeurent fortes. Elles concernent la prise en charge et mise hors d’état de nuire des conjoints violents. Et plus généralement, la prévention des féminicides et le contexte éducatif dans lequel s’inscrivent les violences sexistes. Mais du côté du ministère de l’Education nationale, rien de nouveau. Le sujet ne fait pas partie des 10 engagements du Premier ministre. Marlène Schiappa compte sur le groupe de travail « éducation / prévention » pour préconiser un (ennième ?) plan de lutte contre les stéréotypes de sexe qui déculpabilisent les hommes violents et culpabilisent les victimes. Une « bataille culturelle » qui ne semble pas être une priorité du gouvernement.
En attendant d’énergiques mesures de prévention et malgré les premières mesures prises, le fléau demeure. La militante Carline de Haas, à l’origine du collectif #NousToutes écrivait ceci sur Twitter : « 11 août : Le Havre. Johanna saute par la fenêtre pour échapper aux coups de couteau de son compagnon. Elle dépose plainte. 14 août : La plainte est classée sans suite. 16 septembre : Johanna est assassinée. Je comprends pas bien comment faire pour ne pas péter un câble. »