Dans les compétitions sportives, les réalisateurs ne s’intéressent pas qu’à l’action sur le terrain. Ils filment également à outrance les jolies supportrices dans les gradins. Un procédé tout sauf innocent.
A chaque grande compétition sportive son lot de plans de « belles supportrices » sur les écrans lors des retransmissions de matchs. La Coupe du Monde au Brésil n’a pas dérogé à la règle.
Lors du match entre l’Iran et le Nigeria, le 16 juin, le geste technique le plus osé n’est pas intervenu sur le terrain. Mais en régie. Là ! Jolie fille ! Zoom !
(Scène repérée par le site 101greatgoals)
Cette année, celle qui a crée le plus d’engouement s’appelle Axelle Despiegelaere. Cette Belge de 17 ans a soutenu son équipe, les Diables Rouges, à chacun de leurs matchs. La blonde aux yeux verts apparaissait régulièrement à l’écran pendant plusieurs dizaines de secondes. Surnommée la « plus belle supportrice du mondial » par la presse belge, et la presse francophone par répercussion, la jeune femme a 4 pages Facebook qui lui sont dédiées, dont une à plus de 230 000 fans. Des dizaines de sites de presse se sont rués sur les aventures d’Axelle Despiegelaere, jusqu’à l’overdose.
Sur MyTF1.fr, les séquences de #BellesSupportrices sont légion et servent à attirer le chaland, ainsi que le remarquait Samuel Gontier de Telerama. Le site de la chaîne qui diffuse les matchs de la Coupe du monde affiche clairement la couleur, comme ici : « Une supportrice argentine a tapé dans l’œil du réalisateur de la rencontre. » Et de la proposer en « cadeau ».
Des plans pour se rincer l’œil
Un plan qui s’attarde sur une jeune et jolie supportrice, cela s’appelle en anglais, le « honey shot ». Selon l’Urban Dictionary, dictionnaire en ligne anglophone qui décrypte les expressions du langage courant, le « honey shot » correspond au « gros plan d’une fille jolie dans les gradins, en général quand elle se penche en avant et que l’on voit son décolleté. »
Le 3 juillet dernier, The Daily Telegraph, traduit par Courrier International, s’interrogeait dans un article titré « La Coupe du monde la plus sexiste de l’histoire ? » sur cette manie de « se rincer l’œil » : « Il est triste que la Coupe du monde – sans doute le plus grand événement sportif avec les Jeux olympiques – continue de véhiculer une image réductrice et sexiste des femmes (…) Tolérer ces images, voire s’en rincer l’œil, n’est pas seulement rabaissant pour les femmes, cela ramène l’homme au niveau tragique, obscène, du porte-jarretelles. »
Dans une tribune sur The Guardian un internaute s’élève contre le message véhiculé par ces « honey shots » spécifiques au sport masculin, et analyse ainsi l’idée sous-jacente : « Seuls les hommes aiment le sport. Tous les hommes aiment aussi les ‘minettes’. Balançons donc des ‘minettes’ dans leur sport. Et si vous pensez que ce processus est innocent et n’est pas de l’objectification, imaginez un réalisateur masculin quinquagénaire (c’est presque toujours le cas) assis quelque part en régie, contrôlant les images de la foule jusqu’à ce qu’il trouve la bonne et se dise : ‘Woaw ! Ouais. Montrons-la.’ » Et de conclure : « Il n’y a rien d’innocent à propos du ‘honey shot’. Regardez le prochain match dans un bar des sports. Observez la réaction alcoolisée des hommes spectateurs à la vue de ces images. Il est légitime de se demander si cela peut favoriser toutes les sortes de harcèlements de rue que des projets comme Everyday Sexism ont si bien documentés, quand la foule alcoolisée se répand dans la rue. »
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La caméra d’un « vieux dégueulasse »
Si internet amplifie assurément le phénomène, cela fait des décennies que les femmes sont ramenées à une fonction décorative en marge des matchs. Comme le rappelle Josh Levin de Slate.com (repris ici par Slate.fr, qui traduit « honey shot » par « plan meuf »), dans un article très fouillé, le « honey shot » a 40 ans et un papa.
Il est né dans le courant des années 70, dans l’émission américaine Wide World of Sports, réalisée par Andy Sidaris, ancien directeur de la chaîne ABC Sports, décédé en 2007. Durant les matchs, il s’attardait longuement sur les pom-pom girls et les majorettes. Ce qui a fini par agacer. En 1983, Neil Amdur, un journaliste du New-York Times. écrivait que Sidaris « accorde toujours une attention démesurée aux pom-pom girls. Les images de cheerleaders et de majorettes n’ont d’intérêt que lorsqu’elles sont spontanées et intégrées au match. Sidaris les a rendues ennuyeuses, et surtout déplacées. »
Le cinéaste ne s’excusera jamais pour son œil baladeur. Dans un documentaire tourné en 1976, Seconds to Play, Andy Sidaris explique les raisons qui l’ont poussé à privilégier ces plans de jolies femmes : « Je suis un vieux dégueulasse. » Une phrase qui a le mérite d’être claire sur ses intentions. La Coupe du monde brésilienne l’a encore montré, la relève de Sidaris est assurée et largement encouragée par les médias et les spectateurs.
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