La Cour européenne des droits humains a remis les idées à l’endroit : ce n’est pas la loi de 2016 qui met en danger les personnes prostituées. Ce sont les clients et proxénètes. Les associations de terrain sont soulagées.
« La CEDH conforte la loi française. Un signal fort pour l’Europe, une victoire pour toutes les femmes ! » : c’est le titre du communiqué de 200 associations de terrain qui accompagnent « les personnes prostituées, les survivantes de la prostitution et luttent contre les violences sexistes et sexuelles ».
Ces associations se réjouissent de la décision rendue par la Cour Européenne des Droits Humains (CEDH) ce jeudi 25 juillet : elle affirme, à l’unanimité, que la loi française de lutte contre le système prostitutionnel du 13 avril 2016 ne contrevient pas à l’article 8 de la Convention des droits de l’homme, qui garantit le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle.
La CEDH avait été saisie par 261 personnes se définissant comme « travailleur.ses du sexe » en 2019. Les requérant.es dénonçaient «l’incrimination de l’achat de relations de nature sexuelle, même entre adultes consentants » parce que cela « pousse les personnes prostituées à la clandestinité et à l’isolement, les expose à des risques accrus pour leur intégrité physique et leur vie et affecte leur liberté de définir les modalités de leur vie privée.»
Lire : La CEDH déclare recevable une requête contre la loi de lutte contre le système prostitutionnel
La loi de 2016 a abrogé le délit de racolage (qui pénalisait les personnes prostituées) et l’a notamment remplacé par la pénalisation des clients prostitueurs, passibles d’une amende de 1.500 euros. Elle prévoit également des «parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle».
Ce n’est pas la loi qui est violente mais les clients et proxénètes
Dans sa décision, la CEDH s’est alignée sur les arguments des associations qui n’ont cessé de répéter, lors de la conférence de presse du 25 juillet : les violences contre les personnes prostituées ne viennent pas de la loi mais des clients et des proxénètes.
En langage CEDH, cela donne : « pleinement consciente des difficultés et risques – indéniables – auxquels les personnes prostituées sont exposées dans l’exercice de leur activité », dont les risques pour leur santé et leur sécurité, la CEDH assure que ces « phénomènes étaient déjà présents et observés avant l’adoption de la loi » de 2016.
La Cour observe même que la loi inverse le «rapport de force avec le client pour les personnes prostituées, en les positionnant en tant que victimes et en leur permettant de dénoncer celui‑ci en cas de violences».
Et Kerstin Neuhaus, représentante du mouvement abolitionniste en Allemagne, rappelle que la légalisation de la prostitution revendiquée par les lobbys pro-prostitution, ne met pas davantage fin à la violence.
Lire : « Un jour nous aurons honte », l’Europe s’attaque à l’esclavage prostitutionnel
« Ce n’est pas la loi qui est violente et qui tue, c’est la prostitution elle-même », a rappelé Stéphanie Caradec, du Mouvement du Nid, qui intervient auprès des personnes prostituées. Plus largement, Elsa Labouret, porte-parole d’Osez le féminisme! rappelle que la lutte contre le système prostitutionnel s’inscrit dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles « La marchandisation des corps est une violence. La sexualité est une question de désir, pas de transactions financières » (qui se font souvent entre hommes, sur le corps des femmes). Sabine Reynosa, représentante de la CGT, rappelle que l’enjeu de la lutte contre la prostitution est aussi de montrer que le corps des femmes n’est pas un objet à disposition des hommes. Elle voit dans la prostitution « le cheval de Troyes de la domination masculine. »
De riches lobbys
Pendant que les associations de terrain exprimaient leur soulagement et leur espoir de voir les lois abolitionnistes s’étendre en Europe, les lobbys pro-prostitution dénonçaient la décision de la CEDH qui ne leur était pas favorable. Et beaucoup de médias grand public reprenaient une nouvelle fois leurs termes (« travailleuses du sexe » quand les associations disent que la prostitution n’est « ni du travail ni du sexe ») et leurs arguments… Ces pro-prostitutions ont les moyens de communiquer. « La prostitution génère 4 milliards d’euros de revenus, s’ils en utilisent un petit pourcentage pour communiquer, ils peuvent innonder les médias de plaidoyers, ce que nos associations n’ont pas les moyens de faire » remarque Yves Scelles, président de la fondation qui porte son nom.
Mieux appliquer la loi
Une nouvelle fois, les associations demandent à l’Etat de se donner les moyens d’appliquer la loi de 2016 et réclament toujours d’ « Offrir à toutes et tous une alternative à la prostitution », d’ « Initier de grandes campagnes nationales pour un changement de regard de la société, en priorité en direction des « clients » prostitueurs’. De « Mettre fin à l’impunité pour les prostitueurs, « clients » et proxénètes, notamment en ligne », de « Généraliser la prévention » et la « prise en charge des mineur·es victimes de violences sexuelles » et « Consentir l’effort financier à la hauteur de l’enjeu, estimé à 2,4 milliards d’euros sur 10 ans pour la France.