Quand le cinéma s’ouvre à la diversité et dénonce les violences faites aux femmes, un critique y voit du «puritanisme». Mais son texte est traité comme une opinion, pas comme une critique ciné.
Dans le quotidien Le Monde, Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque française écrit environ une critique cinéma par semaine. Mais son texte titré « Le cinéma indépendant américain saisi par le puritanisme » sur le festival de Deauville de début septembre, est passé dans les pages « idées » du numéro daté du 13 octobre, rubrique «analyse ». Une analyse sortie un mois après la manifestation dans le quotidien de référence, en bas de page, comme cachée et publiée en catimini. Le texte avait fait grincer quelques dents dans les coulisses du journal avant cette publication éloignée de l’événement… Le quotidien de référence Le Monde s’est engagé dans une évolution féministe de sa ligne éditoriale et ce texte misogyne apparaît incongru.
L’auteur se répand dans une déploration pathétique de ce qu’il appelle à plusieurs reprises des « constructions idéologiques ». Quand le cinéma se pique de diversité et de « prise de conscience de l’ampleur des violences faites aux femmes », il y voit des « prescriptions puritaines ». Dans The Assistant, de Kitty Green, une assistante d’un « grand consommateur de femmes » écrit-il, déplore la misogynie ambiante. Jean-François Rauger y voit « une victimisation imaginaire, un objet d’indignation désespérément introuvable » et même « une pure construction idéologique, le cauchemar d’un monde où l’homme serait fantasmé comme un prédateur ontologique ».
Dans ces nouveaux films présentés à Deauville, il le regrette : « Les personnages féminins font l’amour en gardant systématiquement un soutien-gorge. » Et ça, il n’aime pas du tout ! Le critique se livre à des contorsions intellectuelles, considérant que « cette volonté de cacher les corps ne saurait complètement être comparée au retour régressif d’un puritanisme d’un autre âge. » (Pourtant le titre de son analyse laissait penser le contraire.) Pour lui, « le souci des cinéastes semble aujourd’hui celui de ne pas être soupçonnés de vouloir rassasier un regard masculin qui, par essence, serait suspect. » Et encore une fois, il voit dans cette « réduction du regard », « davantage une construction idéologique que la conscience de ce qui compose, réellement, le public du cinéma».
Analyse de l’analyse : le critique du Monde voit la paille de la « construction idéologique » dans l’œil des voisins du cinéma américain mais il ne voit pas la poutre dans le sien. «Vouloir rassasier un regard masculin » est « une construction idéologique » qui a longtemps été considérée comme une norme dans le milieu de la critique du cinéma.
Mais, depuis plusieurs années, le Syndicat français de la critique de cinéma sensibilise ses membres et les journaux tentent d’atteindre la parité au sein de leurs équipes de critiques pour que cette misogynie ne soit plus présentée comme quelque chose de normal mais comme une idéologie.
Regard masculin
Le monde du 7ème art évolue, l’académie des César après bien des batailles menées notamment par le collectif 50/50, a fini par faire sa mue et remplacer l’entre-soi masculin des équipes dirigeantes par une presque parité.
Mais les gardiens du temple machiste n’ont pas dit leur dernier mot. La Cinémathèque française, dont Jean-François Rauger est le directeur de la programmation, résiste. « Ça fait 50 ans que la cinémathèque ne programme que des films d’hommes » dénonce Véronique Le Bris, rédactrice en chef de Ciné-woman et fondatrice du prix Alice Guy. « Bien sûr il y a quelques initiatives comme, en ce moment, la rétrospective sur les pionnières du cinéma soviétique. Mais ça ressemble plus à un alibi » La programmation de la Cinémathèque n’ignore pas complètement les réalisatrices, mais elle les cantonne à des manifestations ghetto. La norme étant d’imposer le regard masculin sur grand écran. Véronique Le bris avait d’ailleurs interviewé Jean-François Rauger dans Ciné-Woman en 2016, avant #MeToo et la contestation de ce regard masculin omnipotent. Elle lui demandait pourquoi il retenait si peu de femmes dans ses programmations et écrivait «Il nous explique sa ligne tout en semblant prendre conscience, au fur et à mesure, que ses choix pourraient être plus féminins.» Quatre ans plus tard elle ne peut que constater qu’il n’a pas évolué sur le sujet. Et rappelle que la Cinémathèque, qui infuse ce regard sexiste dans les salles obscures bénéficie de très lourds financements publics.
En revanche, le journal Le Monde, lui, a évolué en plaçant cette opinion à distance des pages culture dans les pages opinion. Il aurait pu aller plus loin avec un autre angle pour son sujet sur le festival de Deauville : « Le cinéma américain rompt (enfin) avec les codes du patriarcat » par exemple.