Certes, une peine a été prononcée. Certes, le milieu du rugby s’est désolidarisé du joueur qui a battu sa femme. Mais le phénomène d’emprise reste ignoré par la justice et les médias et la protection des victimes est loin d’être assurée.
Interpellé vendredi 26 mai à Montpellier, après avoir frappé son épouse dans un centre commercial, le rugbyman international français Mohamed Haouas, qui a déjà été confronté à la justice à deux reprises, a été condamné à douze mois de prison ferme, sans maintien en détention. La procureure avait demandé 18 mois de prison, dont un an avec sursis probatoire, et le maintien en détention du joueur, père de deux enfants, « pour protéger« sa femme, estimant que le risque de le voir recommencer était « majeur ». Mais elle n’a pas été suivie.
Illico, les instances du rugby n’ont pas séparé l’homme du rugbyman et ont écarté le joueur. La Fédération française de rugby (FFR) a qualifié le comportement du pilier international d’ « inadmissible » et « incompatible avec la représentation de notre nation au niveau international ». Un peu plus tôt, le club de Clermont que le joueur devait rejoindre la saison prochaine l’annonçait : il « ne pourra pas porter, sur le terrain, les couleurs du club ».
Et Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité femmes-hommes, a salué ces décisions : « Je pense que cela montre que les mœurs évoluent, les mentalités évoluent. » a-t-elle déclaré sur BFMTV.
Mais ce qui n’évolue pas vraiment, c’est la protection des victimes. L’étonnement des journaux face au comportement de la femme victime de son époux le montre. Elle n’a pas voulu porter plainte alors que son agression, filmée, ne laissait aucun doute. Elle s’était constituée partie civile à l’audience et avait déclaré qu’il s’agissait de faits anormaux mais que c’était la première fois que son mari levait la main sur elle. A la sortie du tribunal, elle a exprimé un « un gros soulagement » de le voir rentrer à la maison. Les médias lui tendent le micro quand elle attend son mari « Il faut savoir pardonner, j’espère que ça ne se reproduira plus » dit-elle par exemple au micro de TF1. Ces images ne laissent pas penser que la femme qui s’exprime ainsi est sans doute en danger. Pourtant…
Pourtant, la procureure de la République avait parlé d’un phénomène d’emprise, et d’un risque de réitération « majeur » décrivant Mohamed Haouas comme un homme « impulsif » dont les excuses « toujours assorties d’un : ‘mais’ », n’étaient « pas crédibles. » Pour la magistrate l’épouse aurait témoigné par « peur ». Et c’est cette incompréhension du phénomène d’emprise qui est scandaleuse.
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, l’explique très bien dans l’émission ‘Apolline Matin’ ce jeudi sur RMC . « Il faut comprendre les circonstances dans lesquelles elle s’exprime. Il fait 1m85, 125 kg, il rentre à la maison. Vous pensez qu’elle va dire quoi à ce moment-là ? Qu’elle va dire ‘j’aurais préféré qu’il aille en prison’? Est-ce qu’elle a vraiment le choix de dire autre chose ? Mais quand bien même… L’emprise est un mécanisme extrêmement lié aux violences physiques. C’est un homme violent qui va être à la fois très gentil parfois, très doux, être le plus romantique de tous, et en même temps diminuer la personne, lui dire ‘tu n’es rien sans moi’, ‘tu ne surviras jamais sans moi’… Cela crée une sorte de dépendance et c’est très difficile de s’en sortir. Là, c’est probablement le cas, il va la convaincre qu’elle n’est rien sans lui. Même s’il y a cette emprise, quand un homme frappe une femme, en réalité il frappe la société. Il contrevient aux lois de la République française. Même si la femme pense à ce moment-là que c’est mieux s’il rentre à la maison, parce qu’elle ne peut pas survivre sans lui, la société se doit de réagir. »
Pourquoi le juge n’a-t-il pas prononcé une mesure d’éloignement ? La présidente de la Fondation des femmes ne comprend pas pourquoi, avec tout le travail de sensibilisation et d’information qui est fait par les associations depuis plusieurs années, la justice continue de faire comme si les couples devaient régler le problème entre eux.
Et d’ajouter : « On est dans un système qui ne va pas bien, qui ne fonctionne pas. J’en appelle du coup, au-delà de ce juge-là, aux premiers responsables du système judicaire, Eric Dupond-Moretti et Emmanuel Macron. »
Même Aurore Bergé, cheffe de file des député.es LREM à l’Assemblée Nationale a critiqué la justice sur BFMTV estimant qu’elle ne protégeait pas la victime.
Isabelle Rome a aussi alerté : « une violence physique vient rarement par hasard et vient dans un continuum de contraintes, de menaces. » .
Ces multiples voix feront-elles bouger ceux qui pourraient faire évoluer la justice et la police ?