Justine Triet a reçu la Palme d’Or du Festival de Cannes samedi 27 mai dernier : troisième réalisatrice à la recevoir, son discours a été amplement critiqué par certains médias et politiques. Mais elle n’a pas « craché dans la soupe ».
La Palme d’or du 76e festival de Cannes a donc été remise à Justine Triet pour son quatrième film « Anatomie d’une chute » le 27 mai dernier, et ce fut une belle surprise, même si les journalistes plaçaient déjà le film bien haut dans leur palmarès. Le jury présidé par Ruben Ostlund a choisi de récompenser un grand film et une cinéaste qui a réalisé un parcours sans faute à Cannes, de la sélection Acid en passant par la Semaine de la critique jusqu’à la compétition pour ses deux films les plus récents. La réalisatrice a aussi connu le succès en salles avec 650 000 spectateurs pour « Victoria » et 340 000 pour « Sybil ».
Lire : Le procès du couple par Justine Triet
La comédienne Jane Fonda s’est chargée de rappeler, dans son discours précédant l’annonce de la Palme d’or, la longue absence des femmes en compétition pendant des années et la présence de sept réalisatrices en compétition en 2023 : « c’est un tournant historique mais un jour ça paraîtra tout à fait normal ».
Justine Triet est la troisième femme seulement, en 76 éditions, à recevoir la palme d’or. Elle succède à Jane Campion (La leçon de piano, 1993) et Julia Ducournau (Titane, 2021),
Justine Triet savait qu’elle aurait un prix puisqu’elle avait été rappelée par l’organisation du Festival, elle avait donc préparé son discours. Après les remerciements à son équipe, elle a utilisé sa tribune relayée dans le monde entier : « Vous me donnez la parole et je ne peux me contenter d’évoquer la joie que je ressens. Cette année le pays a été traversé par une contestation historique, extrêmement puissante, unanime, de la réforme des retraites. Cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante, et ce schéma de pouvoir dominateur éclate dans plusieurs domaines. Evidemment socialement c’est là où c’est le plus choquant, mais on peut aussi voir ça dans toutes les autres sphères de la société et le cinéma n’y échappe pas. La marchandisation de la culture que le gouvernement néo libéral défend est en train de casser l’exception culturelle française. Cette même exception culturelle sans laquelle je ne serai pas là aujourd’hui devant vous. » La ministre de la culture, Rima Abdul-Malak a aussitôt tweeté sa réponse choquée.
Depuis trois jours, les réseaux sociaux sont partagés entre ceux pour qui la cinéaste ne devait pas évoquer ce sujet trop politique ou trop franco-français, plutôt remercier le système qui l’a soutenue au lieu de « cracher dans la soupe » : « les vieux démons du gauchisme culturel ont envahi l’écran » pour Bertrand de St Vincent du Figaro, « Justine Triet ou la Palme d’Or de la bêtise » pour l’Express qui la qualifie de « Cosette de la Croisette ». Elle a aussi été défendue par de nombreux professionnels du cinéma et personnalités politiques. D’autant qu’elle a complété sa pensée le soir du 27 mai après la cérémonie de clôture, sur France Inter, en précisant qu’elle s’élevait contre un mouvement dans le cinéma français où « la question de la rentabilité des films est très présente au sein des financements étatiques (…) J’ai commencé par faire des films qui ne faisaient pas d’entrées, je suis la preuve vivante qu’il faut laisser cette porte ouverte. C’est comme ça que de jeunes réalisateurs et réalisatrices peuvent arriver. » Cette volonté de préserver le système de financement du cinéma français (qui n’est pas subventionné comme on le dit trop souvent) est aussi une forme de passage de relais générationnel. Ainsi, la Palme d’or du court métrage est allée à « 27 » de la jeune hongroise Flóra Anna Buda, un film d’animation qui a bénéficié d’un soutien, non pas de la Hongrie, mais… du CNC français et de la région Centre-Val-de-Loire.
Pierre Lescure rappelle ici que Justine Triet n’a pas craché dans la soupe