
Une femme à l’hôpital de Panzi (John Paul Doguin, © 2007)
Les sévices sexuels comme arme de guerre. Le phénomène connaît une ampleur dramatique en République Démocratique du Congo (RDC). Ces viols massifs, infligés par des groupes armés, sont un moyen de « déstabiliser l’organisation même de la société ». Effet de cette déstabilisation : les violences sexuelles se banalisent dans la société civile.
L’ONU vient de confirmer l’information : fin juillet, près de 200 femmes et quelques garçons ont été violés en réunion dans une offensive rebelle menée par des rwandais et congolais dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Le supplice a duré quatre jours, à quelques lieues d’une base des Casques bleus.
Un drame qui fait écho à l’enquête réalisée par The Harvard Humanitarian Initiative sous l’égide de l’ONG Oxfam International en avril dernier : 60% des victimes de viols en RDC ont été abusées par des groupes armés. Plus de la moitié ont eu lieu au domicile de la victime (56%) durant la nuit, et parfois même devant le mari et les enfants. Une enquête basée sur les témoignages recueillis auprès de 4 311 femmes victimes de violence sexuelle soignées à l’hôpital Panzi, dans la province du Sud-Kivu. Une région en proie aux insurrections des rebelles hutus des FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) et des combattants Maï-Maï, qui pratiquent les viols massifs et systématiques sur des milliers de femmes.
Selon les Nations Unies, près de 5 000 personnes ont été violées dans la province du Sud-Kivu en 2009. Un chiffre sans doute loin de la réalité. La plupart des victimes gardent le silence par peur des représailles et de la stigmatisation.
Stigmatisation et peur
Ces victimes de sévices sexuels doivent également affronter le rejet des leurs. Stigmatisées et humiliées, la plupart d’entre elles sont abandonnées par leurs villages, familles et maris, et n’accèdent pas aux soins médicaux dont elles ont besoin.
« Moins de 1% des femmes victimes de viols se sont rendues à l’hôpital de Panzi avec leur mari, et 9% ont été abandonnées par leur conjoint. Une femme sur trois est venue seule », note l’enquête. Peu de femmes ont eu accès à des soins pour éviter une infection par le VIH : près de 50% d’entre elles ont attendu plus d’un an pour se faire examiner. « Panzi est le seul hôpital de ce type dans le Sud-Kivu, une région où vivent environ cinq millions de personnes. Beaucoup de femmes vivant en zone rurale ne peuvent faire le voyage jusqu’à l’hôpital et meurent souvent des complications liées à un viol et son corolaire de violences », explique Krista Riddley d’Oxfam International.
Dans son enquête, Oxfam appelle le gouvernement congolais et les organisations internationales à plusieurs résolutions : « Un meilleur accès aux soins médicaux, adapter la protection fournie par les forces de maintien de la paix des Nations Unies aux réalités locales et réformer le secteur de la sécurité et le système judiciaire congolais ».
Car cette banalisation du viol entraîne un autre phénomène inquiétant. La peur des agressions sexuelles diminue la mobilité des femmes, empêchant ainsi les filles d’aller à l’école et le développement d’une activité économique féminine. Une nouvelle tactique militaire utilisée par les belligérants pour empêcher toute reconstruction ou relèvement : déstabiliser l’ennemi à travers les atrocités faites aux femmes
De l’arme de guerre…
Dans les conflits armés, l’utilisation du viol a toujours existé, servant de « récompense » pour les vainqueurs. Désormais, les agressions sexuelles s’érigent aussi en arme massive de guerre, en arme politique.
« L’acte est organisé et programmé, dans le but de détruire non seulement la victime individuellement mais également les communautés. » selon l’Observatoire International de l’usage du viol comme tactique de guerre, fondé en 2005, qui ajoute : « Le viol renverse les liens sociaux et familiaux. Dispersant les individus, il perturbe l’organisation même de la société ».
Une situation qui fait réagir la communauté internationale. En 2008, l’ONU adoptait une résolution qualifiant le viol d’« arme de guerre ». La même année, le Parlement Européen a signé une résolution incitant les Etats à lutter contre le développement des viols en RDC. En avril 2010, le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU faisait part de « sa préoccupation sur l’absence de justice pour des milliers de femmes » qui sont violées chaque année en RDC « et sur l’impunité généralisée pour les violeurs ».
… à la violence sexuelle normalisée
Le rapport d’Oxfam fait apparaître un autre phénomène : l’augmentation inquiétante des agressions sexuelles de la part des civils. En 2004, moins d’1% des viols en RDC étaient attribués aux civils, le chiffre atteignait à 38% en 2008. « Cette enquête confirme ce qui nous était rapporté jusqu’à maintenant de manière anecdotique : la violence sexuelle se normalise à l’Est du Congo. L’ampleur des viols commis au fil des années a rendu ce crime plus acceptable », avance Susan Bartles, responsable de l’étude à la Harvard Humanitarian Initiative.
Une situation que constatait également le député européen Jürgen Schrôder, de retour de RDC en 2008 : « Les hommes de ces régions ont perdu leur dignité et ils retournent leurs armes “de mâles” contre les plus faibles – les femmes et les enfants. C’est l’expression de la situation chaotique et désolée de la société entière ».
Lire (en anglais) l’enquête d’Oxfam et de la Harvard Humanitarian Initiative.