Alors que leur situation financière se dégrade, les Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) attendent toujours la compensation de la prime Ségur par l’État. Face à l’urgence, Clémence Pajot, directrice générale de la Fédération nationale des CIDFF, presse le gouvernement d’agir.
Le 6 juin 2025, la Fédération nationale des CIDFF a publié un communiqué d’alerte : la situation des CIDFF se dégrade. Que se passe-t-il ?
Clémence Pajot – Nous sommes confrontés à une situation inédite. Les CIDFF, qui assurent une mission de sensibilisation à l’égalité et une permanence d’accès au droit pour les femmes, ont fait savoir, au mois d’avril, qu’une trentaine de postes avait été supprimés et qu’une cinquantaine de suppressions arriveront certainement dans les semaines et mois à venir en l’absence de compensation.
25 associations départementales, soit un quart du réseau, ont déjà fermé des permanences juridiques. Le CIDFF Sud Est Francilien a fermé sa permanence téléphonique alors même qu’elle était ouverte depuis plus de 25 ans. Un centre a même fermé son service emploi ainsi qu’une antenne locale. Les sonnettes d’alarme se multiplient.
Cette fragilisation des moyens financiers des CIDFF est dû à l’absence de compensation par l’État pour financer la prime Ségur qui, depuis 2024, doit être versée aux salariés des CIDFF. Sans compensation, les centres ont dû puiser dans leurs fonds associatifs afin de financer cette charge supplémentaire. Résultat : ils ont commencé l’année 2025 dans une situation dégradée. Leur trésorerie est complètement épuisée et certains centres ne peuvent plus payer les salaires, donc ils suppriment des postes.
En quoi l’extension de la prime Ségur au secteur sanitaire, social et médico-social privé a fragilisé les finances des CIDFF ?
Clémence Pajot – Le 4 juin 2024, un accord entre partenaires sociaux a été trouvé afin d’étendre la prime Ségur, qui représente une augmentation de 183 euros nets par mois, à l’ensemble des salarié.es du secteur sanitaire, social et médico-social privé. Le 6 août 2024, le gouvernement a pris un arrêté, avec application immédiate, de cette extension. La Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) nous a confirmé que les CIDFF étaient concernés par l’extension de cet accord… Mais sans qu’aucune compensation financière ne soit prévue. Or, pour le réseau des CIDFF, c’est 1170 ETP (équivalent temps plein) qui sont impactés. Ça a déjà eu un impact très significatif en 2024 et représentait 2,1 millions d’euros pour les CIDFF. Pour 2025, en année pleine, on l’a estimé à 5,8 millions d’euros. Si rien n’a été compensé l’année dernière, une enveloppe a été votée fin janvier, en commission mixte paritaire dans le cadre du projet de loi de finance, pour l’année 2025. On s’attendait à recevoir rapidement les subventions promises mais on est déjà en juin et on n’a toujours rien reçu.
La compensation de la prime Ségur par l’État a été votée par le Sénat le 22 janvier 2025. Comment expliquer que ces subventions n’aient toujours pas été versées aux CIDFF ?
CP – L’absence de versement de l’enveloppe, obtenue grâce à un amendement transpartisan défendu dans le cadre du projet de loi de finance, pour compenser la prime Ségur aux associations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, on ne l’explique pas. La seule raison qui nous a été donnée c’est le gel des crédits nécessaire pour faire des économies. À cela s’ajoute un contexte national, avec le vote tardif du budget de l’État qui a décalé tout l’exercice budgétaire. Pourtant, une enveloppe de 7 millions d’euros existe bel et bien. Et nous ne sommes pas les seules concernées, le réseau Solidarité Femmes et le Planning familial attendent eux aussi de recevoir ces aides.
Pourquoi les femmes qui habitent en milieu rural sont-elles les premières impactées par cette dégradation de moyens ?
CP – On a remarqué que les permanences les plus impactées étaient celles en ruralité, notamment parce que ce sont les plus compliquées à financer. Les permanences d’accès au droit sont financées en partie par l’État mais aussi par des co-financements. L’État verse 50 000 euros par CIDFF, ce qui représente un peu plus d’un poste. Or, pour assurer toutes les permanences qu’on anime dans la ruralité, c’est-à-dire dans les maisons France services, les mairies, les centres sociaux ou en gendarmerie, ce sont des co-financements issus des collectivités territoriales. Pour les petites collectivités territoriales, c’est de plus en plus difficile de financer ces permanences et elles choisissent de réduire leurs subventions. C’est d’autant plus terrible lorsqu’on sait que 50% des féminicides sont commis en milieu rural. Plus les permanences ferment, plus on réduit la visibilité des CIDFF et leur mission sur les territoires alors même qu’on a jamais reçu autant de demandes de la part des femmes partout en France. Demandes auxquelles on a désormais du mal à faire face.
Suite à vos revendications, avez-vous eu des retours ?
CP – Beaucoup de sénateurs et sénatrices et de député.es se sont mobilisé.es sur les territoires pour interpeller l’État quant à la situation dégradée des CIDFF. C’est un soutien très important. La ministre chargée de l’Égalité Aurore Bergé a également pris la parole et a assuré que « dans les jours qui viennent, les CIDFF verront le versement permettant une compensation de la prime Ségur, non seulement au titre de la part de l’État mais même sur la compensation totale du Ségur » et a rappelé la nécessité de « garantir la pérennité de ces postes indispensables ». Cette déclaration, il faut qu’elle soit suivie d’effets. Ça fait des mois qu’on nous promet que la situation va être débloquée mais tant que les CIDFF n’auront pas touché leurs subventions, on continuera à devoir licencier. On est vraiment dans l’urgence. Aujourd’hui, beaucoup de centres n’ont pas les moyens de payer les salaires au mois de juin. Ça fait 50 ans que les CIDFF existent, qu’ils exercent une mission d’intérêt général confiée par l’État, et nous n’avons jamais été confrontés à une telle dégradation de nos moyens. Nous restons extrêmement dépendants de l’État et des subventions publiques. C’est un indicateur assez alarmant et c’est inquiétant de voir que notre activité peut s’arrêter du jour au lendemain.
1 Commentaire
Merci pour cette alerte. Il nous faut vous soutenir en faisant savoir les dangers qui menacent toutes les associations qui travaillent, militent, agissent pour les droits des femmes. Diffusons au maximum cet article pour que nos entourages en prennent conscience et fasse pression à leur manière .