« Riposte féministe », en salle depuis le 9 novembre dernier, offre un coup de projecteur à plusieurs collectifs anonymes de colleuses françaises.
Elles ont été des dizaines de milliers à manifester le 19 novembre contre les violences sexistes et sexuelles : 100 féminicides depuis le début de l’année, un chiffre scandaleux. Un film récent suit un combat sur le même thème, plus discret, qui irrigue tout au long de l’année ses messages sur tous les murs de France en lettrages noirs sur des feuilles A4 : « On te croit ».
Les portraits de groupes de colleuses constituent la trame du documentaire de Marie Perennès et Simon Depardon « Riposte féministe ». Nous en avions parlé ici lors de sa présentation au Festival de Cannes. Lors de sa sortie le 9 novembre, une polémique a surgi : la collective « Lesbiennes contre le patriarcat » a appelé à boycotter le film qui s’ouvre sur les images d’une manifestation lyonnaise où certaines membres de cette collective apparaissent, sans leur consentement. Or la juridiction audiovisuelle prévoit que les personnes qui manifestent acceptent a priori que leur image soit reprise dans les médias (reportages, photos, documentaires).
Cette polémique ne doit pas éclipser la démarche du couple de documentaristes, très respectueuse : ils ont rencontré une quinzaine de groupes parmi les 200 existant en France, n’ont filmé que celles qui acceptaient d’être suivies. C’est d’ailleurs un choix courageux de la part des colleuses que d’accepter d’apparaître à l’image. Afficher des slogans dans la rue est un petit délit cher payé (135 euros d’amende), mais s’exprimer la nuit dans les espaces publics c’est aussi prendre le risque d’affronter l’agressivité de certains hommes. C’est là où le collectif prend tout son sens : être en groupe donne de la force. Même si certains groupes ne sont parfois constitués que de trois ou quatre femmes. Toutes les villes de France sont concernées : Marseille, Brest, Paris, Lyon, mais aussi des villages comme Montbrison (10 000 habitants) ou Compiègne (40 000 habitants). C’est d’ailleurs là que la seule femme politique du film apparait, la sénatrice Laurence Rossignol, qui prête un local aux colleuses de Compiègne. Le point de vue des cinéastes est donc de dessiner le portrait d’un collectif dispersé, sans cheffe, organisé à l’horizontale, sans revenir sur son historique. Le mouvement a été lancé en France par Marguerite Stern, ancienne Femen, qui s’est retirée à cause de désaccords. Le film ne s’attarde pas non plus sur les raisons personnelles qui ont entraîné certaines jeunes femmes ou personnes transgenres ou non binaires à commencer à coller mais les confessions surgissent parfois. Ce n’est pas pour rien qu’ielles se baptisent aussi les « colleur.euses », colleuses en colère.

Riposte Féministe, documentaire de Marie Perennès et Simon Depardon, 97 minutes, France. Produit par Palmeraie et Désert avec France 2 Cinéma. Distribution Wild Bunch. En salle le 9 novembre 2022. Photos © Palmeraie et désert – France 2 cinéma.
Qui sont Marie Perennès et Simon Depardon ?
Couple dans la vie, ils ont été frappés pendant le confinement par la découverte de collages en bas de chez eux à Paris. Marie Perennès, par ailleurs conservatrice à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, a alors contacté et accompagné certaines colleuses parisiennes. Simon Depardon est le fils du photographe Raymond Depardon et de Claudine Nougaret, réalisatrice et ingénieure du son. Cette dernière est la productrice du film via la société Palmeraie et Désert. « Claudine Nougaret a été la première à croire en ce projet (…) explique Marie Perennès dans le dossier de presse du film. Je pense sincèrement qu’aucune autre productrice n’aurait eu cette ténacité pour faire exister le film, c’est parce qu’elle-même est quelqu’un d’engagé qui a participé aux luttes féministes des années 70/80, qui a été l’une des premières ingénieures du son en France et qui milite pour la parité dans le cinéma ». Et elle ajoute : « Le monde du cinéma comme le reste de la société française est éminemment patriarcal et même si on pourrait penser que faire un film sur le militantisme féministe au XXième siècle c’est facile, et bien ça ne l’est pas du tout… Si nous n’étions pas engagé.es sur ce combat contre les violences faites aux femmes, nous et notre productrice Claudine Nougaret, je pense que nous n’aurions pas pu faire ce film. » Pour Simon Depardon : « On avait extrêmement envie de filmer la France et la pluralité de ce mouvement, en allant contre cette idée reçue que les campagnes et les petites villes seraient laissées à l’extrême droite. On voit bien qu’il y a une jeunesse qui se bat, qui pense à l’égalité femme-homme, à l’écologie… Comme il a quant à lui la particularité d’être un homme, cela aurait pu l’écarter du tournage pour certains groupes non mixtes de colleuses, ou le mettre dans une position surplombante. Il a appris à devoir s’effacer. Dans une émission récente de France Culture, Par les temps qui courent, il répondait à la journaliste : « Sur ce film, j’ai beaucoup appris. Moi je n’ai pas peur dans la rue à 1 heure du matin, et j’ai compris que les femmes ont peur la nuit dans l’espace public. J’ai appris à être un allié et à fermer ma gueule. »