Moins de cinq autrices à l’origine des 100 vidéos les plus regardées sur Youtube… Les algorithmes reproduisent le sexisme. Le point avec le collectif de créatrices Les Internettes.
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« Arrêtez de vouloir imposer des quotas de femmes, de minorités sexuelles ou ethniques », « Ras le bol de l’idéologie débile woko-progressiste » ou encore « On ne va pas obliger les femmes à créer des chaînes Youtube si elles n’en ont pas envie et on ne va pas obliger les gens à aller les voir. »… Voici les quelques commentaires que l’on pouvait lire à la suite d’un article paru le 25 octobre sur le média L’ADN. Dans son papier, intitulé « Sur YouTube, les hommes ne veulent toujours pas partager l’affiche avec des femmes », le journaliste met en lumière l’absence flagrante des femmes dans les vidéos sélectionnées sur la page tendance de la plateforme Youtube.
Le sexisme numérique
Tout est parti d’un tweet du compte @bagarretoi dénonçant l’invisibilité des vidéos créées par des femmes : « Franchement ça me fatigue, ça fait des années qu’on le dit et ça bouge pas du tout ». Et ça n’a pas loupé, les détracteurs se sont agités dans les commentaires charriant un flot d’attaques sexistes… Le collectif de créatrices Les Internettes, créé en 2016, s’est également exprimé sur X : « Nous apportons notre soutien à @bagarrretoi, qui fait un constat que nous sommes nombreuses à faire ». Un message de soutien important dans un contexte où 85% des femmes sont exposées à de la violence sur internet (2021, The Economist Intelligence Unit).
j'ai scroll 5min de plus sur la page d'accueil et surprise 🤡 pic.twitter.com/FAMUcVqRHR
— ju 🇵🇸 (@bagarretoi) October 22, 2023
Le collectif Les Internettes lutte contre l’invisibilisation des créatrices sur la Toile. « Nos actions visent à proposer des recommandations qui sortent des sentiers battus et à détourner les algorithmes ne mettent jamais en avant que les majorités écrasantes déjà présentes sur les plateformes » rappellent-elles. Dans le classement des 100 youtubeur.euse.s les plus regardé.e.s, seulement cinq femmes sont présentes… Vérification : en ce lundi 13 novembre, les vidéos affichées sur la page tendance de YouTube réalisées par des femmes se comptent sur les doigts d’une seule main.
Si 52 %, des 100 vidéos analysées par le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) dans son dernier rapport, sont mixtes, près d’une vidéo sur deux présente des personnages exclusivement masculins. On ne compte que trois vidéos sans hommes, contre 45 vidéos sans aucune femme. Lorsqu’elles sont présentes dans des vidéos produites par des hommes, les femmes occupent surtout des rôles de personnages secondaires, avec une présence à l’écran limitée à quelques secondes ou minutes. (à lire : Le numérique, fabrique à sexisme… Comme les vieux médias).
Des algorithmes discriminants
La cause de cette invisibilisation ? Des algorithmes discriminants. Selon Emma Gauthier, doctorante en sociologie numérique, « les infrastructure technologiques qui sont mises sur Youtube sont ancrées dans une culture et créées par des humains. Elles portent en elles tous les biais », explique-t-elle lors d’un séminaire. Les algorithmes récompensent davantage les créatrices produisant un contenu hyper genré, correspondant aux codes de la féminité. Réduisant ainsi, dans l’imaginaire collectif, les créatrices aux seules youtubeuses beauté, le profil le plus mis en avant lorsqu’il s’agit des femmes sur YouTube selon une étude menée en 2018.
Ce manque de rôle modèle féminin sur des sujets comme la vulgarisation scientifique, l’humour ou encore des jeux vidéos, tend à dissuader les femmes de se lancer, ne se sentant pas « assez légitime ». Cela diffuserait aussi une vision erronée de la réalité selon Diane Ataya, co-présidente des Internettes : « ces dernières années, de plus en plus de femmes et de personnes non binaires ont créé sur internet… mais on n’en parle pas. C’est dommage car certains projets sont passionnants. La question n’est plus tellement les femmes sont-elles présentes sur YouTube ? Elles sont bien là ! ». Et ces inégalités ne se limitent pas uniquement à la question de la visibilité. Les Internettes dénoncent également l’écart de rémunération : pour un partenariat, les hommes toucheraient en moyenne 614€ et 424€ pour les femmes selon l’INSEE. Ce qui permet aux hommes de produire davantage de contenus… La question du financement est le cheval de bataille des Internettes. Pour combler ces écarts, elles obtiennent des subventions auprès du Ministère de la Culture ou encore de l’Économie. Elles ne s’arrêtent pas là. Le collectif organise également un concours, avec à la clé des dotations entre 300 et 3 000 euros versées aux créatrices afin qu’elles puissent se former et s’équiper.
Youtube serait-il un miroir grossissant des inégalités hommes-femmes de notre société ? C’est ce que dénonce Les Internettes. « Beaucoup de gens pensent que YouTube ce n’est pas la vraie vie. C’est faux. C’est le reflet de toute la société » martèle Diane Ataya, avant d’ajouter : les quotas voulues par le HCE, c’est bien mais ça ne réglera pas le problème de fond. Internet ne peut pas changer tout seul, il faut que la société change aussi ». Invisibilisation des femmes hors stéréotypes, algorithmes discriminants et harcèlement sexuel créent un syndrome de l’imposteur ressenti par une grande majorité des femmes présentes sur Youtube. En modifiant leurs algorithmes, les plateformes pourraient néanmoins déjà casser ce cercle vicieux.
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