Samedi 24 juillet 2010. Comme chaque jour, Le Monde livre sa page d’hommages aux chers disparus, des noms gravés noir sur blanc, suivis de leurs titres et mérites respectifs. Jacques Séguéla estimait que sans Rolex à 50 ans, on avait raté sa vie. Une annonce dans Le Monde à l’heure de la dernière heure, c’est un peu l’avoir réussie.
Samedi 24 juillet, dix-sept noms sont mis à l’honneur, après deux ou trois naissances et mariages vite expédiés. Pour les morts, on prend plus le temps et c’est bien normal, leur vie est derrière eux, assez riche sans doute pour les avoir distingués du commun des mortels.
Comme toujours, une vraie manie, je fais un petit compte : sur les dix-sept noms, quatre femmes. Après tout, c’est plus qu’au Panthéon où deux grandes femmes reposent aux côtés des soixante treize grands hommes : Marie Curie et Sophie Berthelot. Et encore, cette dernière n’a été mise là que pour n’être pas séparée de son Marcellin de mari, grand chimiste.
Qui sont ces chers disparus du Monde ? Francis CASTEX, inspecteur d’académie honoraire, combattant de la Résistance, Chevalier de la légion d’honneur et beaucoup d’autres états de service. Une vie glorieuse et édifiante. Jean FRANCHETEAU, Professeur de l’Université de Bretagne Occidentale et bien plus encore; Jean-Paul HEBERT, économiste, ingénieur de recherche, chercheur à l’EHSS, militant des alternatifs entre autres; Peter KELLER, typographe et bien d’autres choses lui aussi; Jean-François LAPEYRE, Directeur et conservateur du muséum de Toulouse; Michel PECHEUX ancien professeur d’histoire-géographie… Les autres disparus suivent et, avec eux, tant de talents qu’on se désole à l’idée de leur perte.
Vient Corinne FALLER, puis, en plus petit, née KARTCHEWSKI. Qu’a-t-elle fait, elle, pour figurer dans cet aréopage de glorieux disparus? On nous signale son combat courageux contre la maladie. Bien, mais encore ? Elle est morte entourée des siens. Tant mieux, l’amour est notre quête ultime à tous. Mais quoi d’autre qui dépasse le cercle de famille, quelle fonction, quel apport à l’humanité, quel motif de fierté pour son entourage? On n’en saura rien, le faire-part ne pousse pas plus loin l’hommage. Pas davantage pour Germaine SPODEK, née ZYNFOGEL (en plus petit là aussi). On apprend juste qu’elle a rejoint son époux. On est content pour elle. Mais on ne saura pas si l’un des quinze messieurs a rejoint son épouse, aucune mention n’en est faite.
Ah, quand même. Entre Jean MONTREUIL, professeur émérite, et Yves JAFFREZIC, chevalier de la légion d’honneur, on nous signale qu’il est fait part du décès de Jeannine SAPIRSTEIN, ancienne institutrice. On ne sait qui lui rend cet ultime hommage mais on le remercie. Et aussi la fille de Francine ARNOLD, née BACRI, qui annonce la mort de sa maman, professeur agrégée des universités, à 91 ans. Cette dame a dû passer l’agrégation (on ne sait laquelle) dans les années 40. Une galère pour une femme, à l’époque. La galère pour sa fille, c’est plutôt le maniement des genres linguistiques : professeur au masculin, agrégée au féminin… on songe à l’annonce de la grossesse de Rachida Dati : « Le garde des sceaux est enceinte ». En ces temps confus, chacun fait comme il peut.
Je ferme le journal. Dix-sept morts dont quatre femmes – et pour deux d’entre elles, on ignore la fonction sociale qu’elles ont occupée. Le plafond de verre écrase aussi les cercueils.
