L’Espagne, pionnière dans la lutte contre les violences machistes, va plus loin avec la création d’un observatoire contre le harcèlement sexuel au travail. Retour sur une lutte méthodique.
Face aux trop nombreux cas de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle sur le lieu de travail, le syndicat espagnol Commissions Ouvrières a crée un nouvel outil de lutte : un observatoire dédié au harcèlement sexuel.
Mis en place le 10 novembre dernier, cet Observatoire sera présent partout où des délégués syndicaux de Commissions Ouvrières se trouvent. Le Ministère de l’Egalité, et plus précisément le secrétariat d’Etat à l’égalité et contre les violences machistes, collaborera également à cet Observatoire ainsi que de nombreuses expertes sur le sujet (sociologues, professeures…)
Le hashtag #VamosAContarlo (Nous allons le raconter), créé à cette occasion, donne également le ton. Il n’est plus question de se taire et les femmes ne sont plus seules.
En 2019, une enquête diligentée par le ministère de l’Égalité rendait compte des chiffres suivants : sur 40,4% de femmes ayant subi du harcèlement sexuel au cours de leur vie, une sur cinq l’aurait vécu sur son lieu de travail, soit un total de plus de 1,4 millions de femmes.
Dans un communiqué, le syndicat explique que cet Observatoire a pour mission de « recueillir, d’analyser et de diffuser une information quotidienne, homogène et systématique relative au harcèlement sexuel et au harcèlement en raison du sexe de la personne sur le lieu de travail. L’objectif n’est pas seulement de récolter des chiffres mais aussi d’aider à la prévention et de donner les outils nécessaires aux femmes pour dénoncer ce harcèlement ».
Un des principaux outils de cet Observatoire est son site Internet. Celui-ci regorge d’informations importantes telles que les textes de loi, les campagnes menées ou encore les études et guides consacrés au harcèlement sexuel au travail. Toute personne subissant, pensant être témoin de violences sexuelles au travail ou simplement à la recherche d’informations sur le sujet est invitée à contacter l’Observatoire.
Le 6 septembre 2022 avait été votée en Espagne une loi sur la garantie intégrale de la liberté sexuelle connue sous le nom de la loi du “Seul un oui est un oui”. Comme son nom l’indique clairement, grâce à cette loi, le silence n’est plus considéré juridiquement comme un signe de consentement et il n’est plus nécessaire de justifier de menaces, de traces de violences ou autres.
Il s’agit là d’un grand pas en avant pour les victimes qui, enfin, n’auront plus à prouver qu’elles ne voulaient pas, comme c’est toujours le cas en France. Ce seront désormais les accusés qui devront prouver que la victime était “consentante” comme le précise le paragraphe 1 de l’article 178 : « La notion de consentement sera retenue seulement lorsqu’il aura été démontré de manière claire la volonté de la personne. » Tout acte sexuel sans consentement est alors considéré comme une agression et il n’est plus question d’abus sexuel. L’auteur de l’agression sexuelle pourra encourir de un à quatre ans d’emprisonnement.
Ce débat sur le consentement avait notamment fait rage en Espagne après l’affaire de « La Meute » où cinq hommes avaient violé collectivement une jeune fille de 18 ans à Pampelune en 2016. Ils avaient été condamné en première instance à neuf ans pour abus sexuel et non pour viol (la violence et la contrainte – éléments alors indispensables pour prouver un viol – n’ayant pu être prouvées). Leur mise en liberté conditionnelle avait entraîné de vives protestations dans tout le pays (lire : En Espagne, les mobilisations paient) et un an après, la Cour suprême avait finalement retenu la qualité de viol et condamné les agresseurs à 15 années de prison.
Dans cette même loi du “Seul un oui est un oui”, l’article 38 relatif au droit du travail et à la sécurité sociale tend à protéger considérablement les travailleuses qui seraient victimes de violences sexuelles à travers toute une série de mesures : droit à la réduction ou réorganisation du temps de travail, à la mobilité géographique, adaptation du poste de travail, droit au chômage, justification et rémunération des absences au travail dûes à la situation physique ou psychologique vécue, suspension pendant six mois pour les travailleuses autonomes des charges et cotisations etc.
L’article 12, paragraphe 2, consacré à la prévention et à la sensibilisation des salarié·e·s sur le lieu de travail, précise même que dans leur présentation des risques professionnels aux salarié·e·s, les entreprises « doivent inclure la violence sexuelle parmi les risques existants et former et informer leur personnel. »
Conscients du sort que subissent quotidiennement des milliers de femmes sur leur lieu de travail, et aidés par une loi solide, les syndicats et le gouvernement espagnol entendent ainsi agir contre ces violences sexuelles. Des violences qui se sont bien trop banalisées et qui font des femmes des doubles victimes en mettant en doute leur parole et/ou en ne leur offrant aucun soutien juridique. Pour Carolina Vidal López, secrétaire du groupe Femmes, Égalité et Conditions de Travail du syndicat, « ce ne sont pas les femmes qui osent dénoncer qu’il faut stigmatiser mais bien cette violence et ceux qui l’exercent. »
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