Gabriel Matzneff et le milieu de la littérature maquillaient en «mœurs libres» des actes de pédocriminalité dans les années 80. Un discours dépassé par une autrice victime de l’écrivain, aujourd’hui éditrice.
Vanessa Springora, directrice des éditions Julliard signe un livre qui secoue le milieu de la littérature. « Le Consentement », à paraître le 2 janvier prochain, aux éditions Grasset, donne le point de vue de la victime d’un écrivain pédocriminel que le microcosme culturel encense jusqu’à lui accorder le prix Renaudot de l’essai en 2013 et une chronique dans Le Point encore aujourd’hui. Elle raconte comment l’écrivain Gabriel Matzneff a mis sous emprise l’adolescente fragile qu’elle était au milieu des années 1980. Elle avait 14 ans, lui une cinquantaine.
L’homme, qui a bâti son « œuvre » sur son attirance sexuelle pour les jeunes enfants, était invité dans les émissions culturelles comme Apostrophe de Bernard Pivot sur Antenne 2. Et son attirance pour ce que l’animateur appelait complaisamment des « minettes » ne choquait pas les invités chouchous de l’émission. Au contraire, il était de bon ton d’admirer l’artiste, d’entretenir la confusion entre mœurs libres et pédocriminalité. Toute contestation était réprimée.
Les féministes qui ont essayé de dénoncer Matzneff et ses complices étaient conspuées avec une violence et un mépris inouïs. Ceux qui s’auto-proclamaient libertins quand ils abusaient d’enfants, traitaient ces féministes de « mal-baisées » et les menaçaient de ruiner leur carrière. L’INA a ressorti un extrait d’Apostrophe de mars 1990 dans lequel la journaliste et écrivaine Denise Bombardier tire un signal d’alarme. Matzneff et les rieurs qui restent de son côté sont odieux avec elle. Il n’hésite pas à lui « interdire » de dire ce qu’elle dit.
Ceux qui détenaient les clés de la parole publique dans les médias voulaient écrire une gentille histoire de libertinage, pas la sombre histoire de pédocriminalité décrite dans Le Consentement.
Encore aujourd’hui, les vieilles gloires de la littérature tentent de minimiser leur responsabilité. Bernard Pivot a réagi à la polémique en parlant de morale. Il se dit produit d’une « morale » alors qu’il en était l’instigateur.
Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale; aujourd’hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c’est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d’un pays et, surtout, d’une époque.
— bernard pivot (@bernardpivot1) December 27, 2019
Guillaume Durand qui a lui aussi tenu une émission littéraire mélange tout et s’abrite derrière la morale.
https://twitter.com/guillaum_durand/status/1210694354366541825
Les deux suscitent la colère des internautes. Ce qui change, ce n’est pas la morale. C’est le fait que la petite caste d’hommes dominants qui verrouillait les médias avant Internet est dépassée par d’autres voix. Ces hommes dominants ne peuvent plus faire régner la terreur dans le milieu intellectuel. Grâce aux réseaux sociaux, les féministes parlent au monde sans le filtre des dirigeants de journaux qui les agonisaient d’injures et maquillaient des agressions sexuelles en aventures romanesques. Il y a eu #MeToo, Adèle Haenel, et aujourd’hui Vanessa Springora.
Des femmes puissantes, visibles, bien installées dans leurs milieux professionnels montent au front et livrent des récits très crus. Les alibis littéraires ou artistiques de la petite caste d’hommes dominants ne valent plus grand-chose. Bien sûr, ils ne lâchent pas l’affaire et le journal Marianne pour faire un coup médiatique, prétend avoir fait une « contre-enquête » face à Adèle Haenel. Une enquête vide (voir : BATAILLE DE PRESSE AUTOUR D’ADÈLE HAENEL)
Mais si aujourd’hui les défenseurs des pédocriminels tiennent les mêmes discours, l’opinion publique peut aussi entendre d’autres versions. Enfin ! L’histoire racontée par Matzneff n’est pas celle d’une liaison sereine avec une enfant : « Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre » écrit Vanessa Springora en préambule de son livre.