Le corps d’une étudiante retrouvé au bois de Boulogne à Paris, un suspect arrêté en Suisse. Dans les médias, ce qui semble choquer le plus est qu’il soit « marocain en situation irégulière ». Le fait qu’un dangereux violeur ne soit pas mis hors d’état de nuire ne fait pas polémique…

« Un suspect sous OQTF », titre CNews. « Meurtre de Philippine : un suspect sous OQTF interpellé à Genève par la police suisse », précise le JDD. « Un homme de 22 ans en situation irrégulière », décrit Le Monde. Ce sont les premières informations transmises par différents médias à l’annonce du meurtre de Philippine, une étudiante de l’université Paris-Dauphine âgée de 19 ans, retrouvée dans le bois de Boulogne le samedi 21 septembre.
Trois jours plus tard, le suspect est interpellé en Suisse. Il est ainsi décrit : Taha O, 22 ans, de nationalité marocaine, condamné pour viol alors qu’il était mineur et sous le coup d’une OQTF. Les médias parlent de la nationalité de l’agresseur et de l’OQTF, c’est-à-dire une Obligation de Quitter le Territoire Français pesant sur lui, bien avant de parler de sa condamnation pour viol datant de 2021.
Quelques voix féministes s’élèvent, pour revoir les priorités… Elles s’expriment plus sur les réseaux sociaux que dans les grands médias. Les «experts» invités par les médias étant plus spécialistes de l’immigration que de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Un suspect déjà condamné pour viol
« Le focus va être mis sur le statut du suspect. Mais j’aimerais comprendre comment un homme mis en cause dans une affaire de viol en 2019 est en liberté 5 ans plus tard. A-t-il été jugé ? Si oui, quelle peine ? Exécutée comment ? Pensées pour cette jeune femme et sa famille. », interpelle la sénatrice Laurence Rossignol sur X .
Le parquet de Paris révèle que le tueur a été condamné par la cour d’assises des mineurs du Val-d’Oise en octobre 2021 à sept ans d’emprisonnement « pour des faits de viol commis en 2019, alors qu’il était mineur », comme le rapportent plusieurs médias. L’homme sera incarcéré de 2019 à juin 2024. À sa libération, il sera inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes dans le but « d’empêcher la répétition de ces infractions » et de « faciliter l’identification et la localisation des auteurs de ces infractions », détaille le site Service-public.fr. L’homme est également sous le coup d’une OQTF et est donc soumis à une assignation à résidence et à une obligation de pointage depuis sa libération. Cependant, il ne s’y présentera jamais et ce n’est que 15 jours plus tard que sa disparition est signalée. Le jeudi 19 septembre, soit la veille de la disparition de Philippine, le suspect est inscrit au fichier des personnes recherchées.
Comment un homme inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes et libéré depuis peu a-t-il pu commettre un tel acte de violence envers une femme alors même que la préfecture de Moselle a mis en avant le risque de récidive du jeune homme au regard de son passé judiciaire ? Les moyens déployés pour lutter contre les violences faites aux femmes sont-ils suffisants et, surtout, efficaces ? C’est ce débat qui devrait interpeller.
Récupération politique
« Philippine a été sauvagement assassinée. La personne arrêtée est marocaine sous OQTF. Ce féminicide mérite d’être jugé et puni sévèrement. L’extrême droite va tenter d’en profiter pour répandre sa haine raciste et xénophobe », alerte Sandrine Rousseau sur le réseau social X. La députée EELV a vu juste. Quelques heures à peine après les révélations du parquet, des personnalités de l’extrême droite instrumentalisent ce féminicide. « Ce migrant n’avait donc rien à faire sur notre sol, mais il a pu récidiver dans la plus totale impunité. Notre justice est laxiste, notre État dysfonctionnel, nos dirigeants laissent les Français vivre avec des bombes humaines », accuse le président du RN Jordan Bardella sur X. Marion Maréchal sert le même discours : « ENCORE un migrant, ENCORE un clandestin, ENCORE une OQTF non exécutée, ENCORE un criminel récidiviste, ENCORE un violeur laissé en liberté. Si l’information est confirmée, #Philippine est ENCORE une petite Française que nos dirigeants ont livrée à un prédateur importé. »
Ce n’est pas la première fois que l’extrême droite s’empare d’affaire de viols ou de meurtre pour servir son idéologie raciste. En décembre 2023, Claire, une jeune femme de 26 ans avait été violée par un homme sous le coup d’une OQTF. L’influence d’extrême droite Thaïs d’Escufon avait alors lancé sur le plateau de BFMTV : « Le principal danger pour les femmes, ce sont les hommes immigrés, africains, noirs et arabes ! ». Et les journalistes présents sur le plateau ne l’interrompaient pas… (lire : Quand l’extrême droite instrumentalise les violences sexuelles)
L’autrice féministe Rose Lamy pointe l’hypocrisie de l’extrême droite sur X : « Silence radio sur Dominique Pélicot, les 50 violeurs bons pères de familles ou les paroles du maire de Mazan (Élu grâce au RN) mais il y a possibilité d’instrumentaliser la mort d’une femme pour son projet raciste, là y a du monde. »
Echo aux polémiques soulevées par l’extrême droite
Les médias donnent beaucoup plus d’écho aux polémiques soulevées par l’extrême droite qu’aux questions des féministes. Sur X, la conseillère de Paris Raphaëlle Rémy-Leleu insiste : « L’extrême droite s’occupe plus des OQTF que des féminicides. Ça n’est pas nouveau. Ça n’est pas une raison pour que toute la classe politique et médiatique tombe dans le piège. »
« Pourquoi fait-on immédiatement des liens avec des questions d’OQTF ou de ‘il est marocain’ ? », déplore Alice Coffin, invitée le plateau de l’émission « Face à Duhamel » du 25 septembre sur BFM. La militante féministe poursuit en reprenant un célèbre slogan du mouvement libération des femmes : « ‘Un violeur est un violeur, un violeur est un homme’. (…) Vous voulez changer les lois ? Ceux qui tiennent ce genre de discours sur les étrangers, ce sont les premiers qui refusent qu’on parle de sexualité à l’école, de stéréotypes de genre, qu’on éduque les garçons et qu’on mette de l’argent sur la table pour les asso féministes qui se battent là dessus. Aux dernières nouvelles, ça reste un homme qui a violé et tué une femme comme ça arrive des milliers de fois ».
Alice Coffin dénonce frontalement la responsabilité des médias : « Les gens qui vivent sur notre territoire, qu’est-ce qu’ils entendent à la télévision ? Qu’est-ce qu’ils lisent comme livre ? On est en plein procès Mazan… C’est quand même bizarre qu’on ne fasse pas le lien avec la masculinité ».
Le silence des responsables politiques à propos de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est aussi éloquent que leur acharnement à instrumentaliser ces violences pour servir un discours contre les immigrés.
Et, en effet, sur le procès des violeurs de Mazan, le silence des hommes politiques est troublant. (Lire : Procès Pélicot : le silence des hommes politiques et la victimisation secondaire, garants de l’ordre social patriarcal)