Un joli roman ou une sordide histoire de polygamie et d’inceste ? En 2024, les mots qui écrivent l’histoire de Janine Anquetil, épouse du quintuple vainqueur du tour de France, sont toujours les mêmes…
C’est un cas d’école. L’annonce de la mort de Janine Anquetil est la démonstration parfaite du regard masculiniste imposé par les médias d’information sur l’actualité.
D’abord -mais c’est un détail par rapport au reste !- si le décès d’une femme est cité dans les médias, c’est avant tout parce qu’elle est l’épouse d’un homme, véritable héros de l’information, Jacques Anquetil, mort en 1987. Les médias voient dans l’annonce de ce décès, une nouvelle occasion de rendre hommage à celui qui fut cinq fois vainqueur du tour de France et figure en bonne place dans le panthéon médiatique des héros sportifs. (Le même phénomène s’est produit récemment lors de la mort de Jane Birkin). Et il faut lire entre les lignes pour voir le travail acharné qu’a fait Janine aux côtés de son mari pour assurer sa réussite.
Ensuite, la vie du couple Anquetil est présentée comme un roman quand des mots comme polygamie ou inceste pourraient être employés. Reprenant le journal L’Equipe, qui a annoncé dimanche le décès de la « dame blonde » à l’âge de 96 ans, Le Figaro parle d’une « une vie de roman au parfum de scandale » quand RMC qualifie d’« incroyable » « Sa vie intime, liée à son mari ».
Jacques Anquetil a rencontré Janine qui était l’épouse de son médecin personnel. Les journaux racontent qu’il était « amoureux » et l’avait « enlevée » en venant la chercher à son domicile. Janine a ensuite raconté dans Vélo Mag cité par l’Equipe et la plupart des journaux : « Je m’étais retrouvée en robe de chambre et en slip, dans la rue. Nous avions pris le train pour Villefranche… »
Puis après une carrière jalonnée de succès cyclistes abondamment rappelés, Jacques, à la retraite, « eut envie de connaître les joies de la paternité mais Janine ne pouvait plus avoir d’enfant… » écrit le Figaro. Alors Jacques aura un enfant avec la fille de Janine. 20Minutes écrit : « il avait été décidé, devant le désir de paternité de Jacques Anquetil, que c’est Annie, 18 ans et donc mineure à l’époque, qui porterait le bébé. »
C’est alors qu’est née Sophie qui écrira un roman, « Pour l’amour de Jacques », Éditions Grasset en 2004. Dans Libération, sous la plume de l’inénarrable Luc Le Vaillant, l’année de la sortie de son livre, Sophie raconte « Pour le garder à la maison, Nanou lui a offert sa fille (Annie). Ils ont joué avec le feu. Sa vie privée était sa propriété entière comme sa famille était sa propriété entière ».
Dans cet article de Libération de 2004, une citation d’Annie fleure l’emprise : « Jacques était un despote éclairé et charismatique, tout en subtilité et en finesse, qui n’imposait jamais rien. Il avait une poigne de dictateur mais nous aimait profondément. Ça change tout. »
Et ce n’est pas tout ! Jacques Anquetil aura ensuite un autre enfant, Christopher, avec la femme de… son beau-fils Alain, l’autre enfant de Janine.
L’Equipe parle de « vie de famille jugée à l’époque iconoclaste et qui, aujourd’hui, susciterait probablement un véritable scandale »… Pas sûr. Les récits qui sont faits aujourd’hui de cette vie dans les médias mainstream ne transpirent pas vraiment l’indignation. En 2024, le ton reste léger, aucun journal ne parle de relations incestueuses ou de polygamie à propos du champion. Il faut aller sur les réseaux sociaux pour voir des indignations de féministes. Magnanime, Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme a fait le travail d’écriture que devraient faire les journaux s’ils regardaient l’actualité avec un oeil féministe.
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Le livre : Journalisme de combat pour l’égalité des sexes. La plume dans la plaie du sexisme, Isabelle Germain, LNN édition 2021