Niki de Saint-Phalle artiste rebelle, engagée, féministe. Depuis le 7 octobre, et jusqu’au 5 mars 2023, les Abattoirs de Toulouse (musée d’art contemporain) présentent une exposition qui lui est consacrée. L’occasion de revenir sur le parcours de cette artiste.
Née le 29 octobre 1930 à Neuilly-sur-Seine, d’une mère américaine et d’un père français, la jeune Catherine Marie-Agnès de Saint-Phalle voyagea beaucoup entre la France et les Etats-Unis. A 18 ans, elle se marie avec le poète Harry Matthews avec qui elle aura deux enfants, avant de divorcer en 1961. Elle travaille d’abord comme mannequin mais cette activité ne convient pas à la jeune femme qui, lassée de porter les créations des autres, veut être « un portevoix à l’émancipation des jeunes femmes de son époque*»
Victime à 22 ans d’une grave dépression, elle sera soignée quelques temps dans un hôpital psychiatrique à Nice où elle reçut à cette époque des électrochocs, censés la guérir mais qui ne feront rien de plus que d’altérer sa mémoire. C’est là-bas qu’elle commencera à peindre tel un remède à la maladie.
« J’ai commencé à peindre chez les fous… J’y ai découvert l’univers sombre de la folie et sa guérison, j’y ai appris à traduire en peinture mes sentiments, les peurs, la violence, l’espoir et la joie. »
Catherine Francblin, « Niki de Saint Phalle, la révolte à l’œuvre », éditions Hazan, 2013.
Après avoir peint ses premiers tableaux, elle décide alors de consacrer sa vie à l’art. Une des ses oeuvres les plus impactantes est celle de la série des Tirs qui contribua à la rendre célèbre aux yeux du monde entier dans les années 1960. Ces oeuvres sont des toiles enduites de plâtre et de divers objets donnant du relief : un tout entièrement blanc recouvert en surface de plusieurs poches de peintures. Puis, s’emparant d’une carabine, l’artiste autodidacte ouvrait le feu sur ses propres toiles faisant ainsi exploser les poches de peinture qui se déversaient comme du sang sur ses oeuvres. Tuer symboliquement tout ce qu’elle détestait fut pour elle une véritable thérapie. Un meurtre sans victime où elle exorcisait à la fois ses maux et créait en même temps une oeuvre unique. Elle perçoit définitivement l‘art comme une thérapie, un véritable exutoire qui l’aidera notamment à surmonter l’inceste dont elle fut victime alors qu’elle n’avait que 11 ans. Elle parlera de cet épisode traumatisant en 1994 dans un livre intitulé Mon secret. Dans cet ouvrage, elle raconte sans filtre le viol subi dans son enfance par son père.


Même si à l’époque elle n’en parlait pas, cette rage qu’elle avait en elle s’est installée à plusieurs reprises au centre de son œuvre. Au sujet de ses Tirs, elle déclara que « la peinture était la victime » et à travers elle, Niki de Saint-Phalle tirait sur toutes les injustices et sur tout ce qui la révoltait.
Quelques années après, Niki de Saint-Phalle entreprend une exploration artistique des femmes et c’est alors qu’elle débute la série des Nanas. Ces grandes sculptures aux rondeurs et couleurs vives deviendront célèbres dans le monde entier. A travers elles, l’artiste veut dénoncer l’enfermement de la condition féminine et l’idée de construire des femmes plus grandes et imposantes que les hommes est une manière de les libérer de l’oppression masculine.
Au-delà de ses différentes luttes féministes telles que la domination patriarcale ou encore le droit à l’avortement, Niki de Saint-Phalle a toujours défendu des causes justes se dressant alors en défenseuse des personnes opprimées. C’est ainsi qu’elle s’est engagée contre le racisme avec notamment la création des ses Nanas noires, dont la célèbre Black Rosy ou My Heart Belongs to Rosy (1965), une des premières de la série, en hommage à Rosa Parks (1965), cette afro-américaine rendue célèbre pour avoir refusé en 1955 de céder sa place à un homme blanc dans le bus.
Dans les années 80, elle a également été une des premières artistes à s’engager publiquement dans la lutte contre le sida. Elle publie un livre : Le sida c’est facile à éviter, dont les bénéfices seront reverser à l’association AIDES, et réalise des oeuvres de toutes sortes afin de toucher et de sensibiliser un grand nombre de personnes.

(visibles aux abattoirs de Toulouse jusqu’au 5 mars 2023 / ©Agathe Ripoche)
Toujours avec cet esprit revendicatif, elle créé également en 1998 une série intitulée Black Heroes représentant des personnalités afro-américaines (Josephine Baker, Miles Davis, Louis Armstrong etc.) pour dénoncer la ségrégation raciale.


En 1971, Niki de Saint-Phalle épousa l’artiste Jean Tinguely, connu pour ses sculptures métalliques, avec lequel elle travailla sur de nombreuses oeuvres dont la fameuse fontaine de Stravinsky ou fontaine des automates (1983) qui se trouve à Paris à côté du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Ce dernier décéda en 1991 et Niki de Saint-Phalle entreprit un vrai combat pour faire reconnaître l’oeuvre de son époux jusqu’à la création du musée Tinguely en Suisse, inauguré en 1996.
Le monde de l’art était à cette époque un univers très masculin et misogyne et il était difficile pour les femmes de se faire une place. Beaucoup de médias considéraient alors que Jean Tinguely était le créateur et que Niki de Saint-Phalle était son assistante… alors qu’il s’agissait de l’inverse.
Le Jardin des Tarots, situé à Garavicchio, en Toscane, est la dernière oeuvre de Niki de Saint-Phalle. Plus de 20 ans de construction furent nécessaires pour donner vie à ce rêve de jeunesse. Débuté en 1979 avec l’aide de Jean Tinguely qui participa notamment à la construction des structures, ce jardin représente un ensemble de 22 sculptures monumentales inspirées des arcanes majeurs du Tarot. C’est lors d’un voyage à Barcelone en visitant le parc Güell de Antoni Gaudí que lui vint cette idée : «Je savais qu’un jour, moi aussi, je construirais un jardin de joie. Un petit coin de paradis. » (extrait de son livre Le jardin des Tarots). Certaines de ses sculptures géantes sont mêmes habitables puisque l’artiste s’était installée dans l’une d’elle pendant la construction. Au sujet de cette sculpture qui représente l’Impératrice (carte III du Tarot), elle écrira que « l’impératrice est la grande déesse, elle est la reine du ciel, la Mère, la putain, l’émotion, le sacre magique et la civilisation. L’impératrice, je l’ai faite dans la forme d’un Sphynx. J’ai vécu pendant des années dans cette mère protectrice. » Le Jardin des Tarots ouvrit ses portes au public en 1998.
L’artiste souffrait depuis de nombreuses années d’insuffisance respiratoire et de polyarthrite rhumatoïde, provoquées notamment par les poussières qu’elle respirait lors de la création de ses oeuvres. Cette maladie fut très handicapante mais Niki de Saint-Phalle ne renonça jamais à son oeuvre : « Au tout début du Jardin, j’étais accablée par l’artrite rhumatoïde et je pouvais à peine marcher et utiliser mes mains, mais j’ai continué, RIEN ne pouvait m’arrêter. J’étais ensorcelée. Je sentais aussi que c’était ma destinée de faire ce jardin qu’importe la grandeur des difficultés. »
Elle décède le 21 mai 2002 aux États-Unis des suites de son insuffisance respiratoire chronique. Avant-gardiste et figure majeure de l’art monumental du XXe siècle, Niki de Saint-Phalle a su s’imposer avec brio dans un univers masculin, défiant ainsi toutes les normes à une époque où les commandes publiques étaient principalement faites à des artistes hommes.
* Pour en savoir plus sur cette artiste engagée, nous vous recommandons vivement l’excellent documentaire de Jacques Vichet, qui nous a été très utile dans la rédaction de cet article. Celui-ci est visible gratuitement sur TV5 Monde dans le cadre d’une série de documentaires consacrée aux Femmes de l’art.
Et si vous êtes à Toulouse ou dans la région, vous pouvez allez découvrir la très belle exposition qui lui est consacrée : Exposition « Niki de Saint-Phalle. Les années 1980 et 1990. L’art en liberté » du 7 octobre 2022 au 5 mars 2023 aux Abattoirs à Toulouse.
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