« Violez les femmes ! » l’essayiste Alain Finkielkraut s’est cru drôle en répétant ce message sur LCI. L’homme dominant s’affole quand ses discours dégoulinants de misogynie sont contredits.
« J’invite les hommes à violer les femmes, je viole la mienne tous les soirs. » La réplique se voulait ironique, au second degré, censée démonter un raisonnement par l’absurde. Cette nouvelle saillie de l’essayiste Alain Finkielkraut, dans La Grande confrontation, sur LCI le 13 novembre n’est pas passée inaperçue. En face de lui, Caroline de Haas a aussitôt réagi : “Vous n’avez pas le droit de dire ça ! Ce n’est pas drôle.” David Pujadas, qui anime l’émission, a lui, estimé que c’était « du second degré ». Jeudi, la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a donné raison à la militante féministe : « Merci à Caroline De Haas d’avoir rappelé la loi en direct à la télévision, a-t-elle tweeté. Non, on ne peut pas appeler au viol des femmes ! Oui à l’humour et au second degré, non à la banalisation des violences sexistes et sexuelles ! »
Le même jour, le CSA confirmait à l’AFP que de nombreux internautes avaient signalé la phrase de l’essayiste. Puis une pétition était lancée rappelant que «L’incitation au viol ou à l’agression sexuelle dans les médias est illégale. La loi prévoit cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros.» Les pétitionnaires demandent « une bonne fois pour toutes le retrait d’Alain Finkielkraut de nos ondes » en raison de sa propension à envoyer des messages misogynes.
Ce dernier en profitera sans doute pour lancer un énième « on ne peut plus rien dire », comme il l’a répété à l’envi au cours des trois heures d’émission. Et pour un homme qui ne peut plus rien dire, il ne s’en sort pas trop mal. Celui qui a son rond de serviette dans pas mal de médias a pu affirmer que « le système patriarcal est une blague ». Sa preuve ? « Les femmes accèdent aujourd’hui aux métiers les plus prestigieux. La direction de Radio France, c’est une femme. La direction de France Inter, c’est une femme. La direction de France Culture, c’est une femme. La direction de France Télévisions, c’est une femme et elle a voulu virer les hommes blancs de plus de 50 ans ! » clame-t-il Ce n’est pas ce qu’elle a dit et les réacs n’ont pas manqué d’aller jouer les victimes dans tous les médias qui leur tendaient le micro (voir : Trop de vieux hommes blancs à la télé ? Delphine Ernotte choque les réacs) . Réaction « ouin, ouin » d’hommes privilégiés qui ne supportent pas de ne plus avoir le monopole de la parole publique. Parlons plutôt de chiffres. Parmi les 100 plus grands groupes de médias dans le monde, 80% des dirigeants – et 94% des PDG – sont des hommes. (voir : Les grands médias mondiaux, un business d’hommes)
Il impose sa définition du violeur
Mais de quoi se plaignent les femmes, puisque l’une d’elles est patronne de RadioFrance ? D’être l’objet de remarques et de comportements misogynes ? Ça aussi, c’est exagéré, pour l’essayiste. Il y a, affirme-t-il, une « extension démente du domaine du sexisme ». Selon lui, avant on ne dénonçait que les viols, « c’est-à-dire les passages à l’acte, la pénétration forcée ». Alors qu’aujourd’hui « il y a la culture du viol, qui englobe les blagues salaces, les dragueurs lourds, les attouchements et jusqu’à la galanterie » . Alain Finkielkraut semble donc regretter que les femmes protestent parce qu’elles se font toucher sans l’avoir demandé, traitées de “salope” par un collègue ou encore suivies dans la rue. Car la culture du viol « laisserait penser qu’il y a énormément de violeurs en puissance en France ». Rappelons que 94 000 femmes ont été victimes de viol ou de tentatives de viol en 2018. L’adjectif « énormément » ne semble pas démesuré.
Mais Alain Finkielkraut n’a peut-être pas la même définition d’un violeur que tout le monde. Ainsi, interpellé sur sa défense de Roman Polanski, poursuivi pour agression sexuelle sur une mineure, l’essayiste persiste et signe. « Cette jeune fille, qui avait en l’occurrence 13 ans et 9 mois, elle n’était pas impubère, elle avait un petit ami », a-t-il répété. Selon lui, c’est de l’histoire ancienne. Samantha Geimer “s’est réconciliée avec lui”, a-t-il encore affirmé. Peut-être faudrait-il vérifier auprès de l’intéressée, qui, le 9 novembre, a regretté sur Twitter ne pas avoir eu de soutien public lorsqu’elle tentait de faire condamner le réalisateur pour agression sexuelle. Et puis, comme le dit Caroline de Haas, comment de tels messages sont-ils reçus par les jeunes filles ? « Quand on dit qu’’une fille de 13 ans, violée par un réalisateur, en l’occurrence Roman Polanski, c’était pas vraiment un viol’, quand vous dites ça, vous envoyez le message à toutes les petites filles que ce n’était pas grave. »
Plus tard dans le débat (à 2h14) Finkielkraut n’appréciera pas d’être à nouveau pris la main dans le pot de confiture. Exprimant sa haine de Greta Thunberg, 16 ans, qu’il prend pour une « gamine manipulée », il n’aimera pas que Caroline de Haas lui fasse remarquer le grand écart : une fille de 13 ans peut selon lui avoir des relations sexuelles consenties mais une fille de 16 ans ne peut pas se préoccuper de la planète. (voir : Greta Thunberg : « faites quelque chose »)
« On ne peut plus rien dire ! » Ha le cri de l’homme dominant au centre d’un plateau télé qui regrette le temps où la liberté d’expression ne s’appliquait qu’aux hommes ! Quand ils disaient aux femmes ce qu’elles devaient penser, quand ils devisaient gentiment avec un proxénète (voir : Taddeï « complaisant » avec le proxénète Dodo la Saumure, juge le CSA), quand ils pouvaient encore parler avec légèreté d’un « troussage de domestique » à propos de l’affaire DSK (voir L’affaire DSK et l’omerta sur les violences sexuelles). Mais avec les réseaux sociaux qui ont donné un nouveau souffle aux mouvements féministes, la parole des femmes déborde les limites que l’homme dominant a fixées. Il ne peut plus confisquer le micro.
Dernière tentative du philosophe pour imposer sa vision du monde et du féminisme tant qu’on y est : interpellé par Caroline de Haas, l’essayiste s’exclame : « Qu’est-ce que vous en savez que je suis pas féministe ? » Petite confidence, monsieur Finkielkraut : ça se voit.