L’égalité femmes-hommes progresse-t-elle en France ? Difficile à dire. En décortiquant le rapport annuel des inégalités femmes-hommes publié discrètement avant le changement de gouvernement (puis éclipsé), LesNouvellesNews découvrent que certains indicateurs clés diffèrent de ceux de l’année précédente rendant les comparaisons impossibles.
Aurore Bergé, nouvelle Ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations devra améliorer les grands indicateurs des inégalités femmes-hommes et des droits des femmes. Problème : de quels indicateurs parle-t-on ?
Quelques jours avant 2024 et le remaniement, le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes, encore sous la responsabilité de Bérangère Couillard, a publié, très discrètement (rien sur les comptes réseaux sociaux du ministère ou ceux de la ministre), son rapport annuel des indicateurs des inégalités femmes-hommes et des droits des femmes. Un document d’une centaine de pages joliment intitulé « Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ». Puis ce rapport a disparu du site, après des demandes de précisions de la part des Nouvelles News. Le lien du ministère est vide mais vous pouvez retrouver le document en PDF à la fin de notre article.
Ce rapport est le reflet en chiffres des performances des politiques publiques menées par le ministère. Il est aussi une base de données précieuse pour les associations, les acteurs publics et privés et les citoyen.nes intéressé.es par la « grande cause du quinquennat ».
Les 10 indicateurs de la synthèse des performances 2023 sont différents de celle de 2022. Le rapport est riche de chiffres et couvre tous les domaines : égalité professionnelle, violences sexistes et sexuelles (VSS), accès aux droits, « culture de l’égalité », mais sa lecture ne permet en rien de comprendre les dynamiques qui sont à l’œuvre sur chacun des sujets. C’est un rapport statique sans comparaison avec l’année ou les années passées.
Pour tenter d’y voir plus clair, il faut rouvrir le rapport précédent, publié en 2022 par Isabelle Rome, qui a précédé Bérangère Couillard au ministère, et se munir d’un tableur pour faire soi-même les calculs.
Plus problématique : les 10 indicateurs de la synthèse présentée en début de rapport, censés donner les informations les plus importantes, changent sensiblement par rapport à l’édition 2022, sans explication, et pour plusieurs d’entre eux, de façon regrettable ou inquiétante.
Ainsi, parmi ces 10 indicateurs, figuraient, dans la synthèse 2022, les droits reproductifs, avec l’indicateur « nombre d’IVG ». Cet item a disparu, remplacé par l’indicateur « nombre de fausses couches », un chiffre qui ne dit rien des droits reproductifs des femmes.
De même, les VSS qui faisaient partie des 10 indicateurs principaux en 2022 n’y figurent plus, alors même que le sujet a connu des épisodes nombreux et importants en 2023. Seuls figurent le nombre de féminicides en 2021 et en 2022.
Disparue aussi la part des jeunes femmes en classe prépa, alors même que la réforme de l’enseignement secondaire de 2019 a nui à l’orientation des filles vers les parcours scientifiques.
A sa décharge, Bérangère Couillard n’est restée que 6 mois en charge de ce ministère. Une durée trop courte, peut-être, pour la production de ce rapport important.
État des lieux des inégalités femmes-hommes
Les Nouvelles News ont tenté d’y voir clair. Voici l’état des lieux sur lequel la nouvelle ministre devra construire sa feuille de route et démontrer des résultats. Rendez-vous dans un an.
1 – Egalité professionnelle : en 2022, le salaire des femmes est inférieur de 14,1 % à celui des hommes (salaire moyen net mensuel en EQTP dans le secteur privé en 2022, INSEE).
L’écart reste important mais se réduit par rapport à 2021 (15,5%) et reste d’abord dû aux salaires plus bas des métiers très féminisés. La tâche reste immense pour réduire l’écart : mieux rémunérer les métiers très féminisés, dégenrer les métiers et combler les écarts de rémunération qui subsistent à travail égal.
2 – Egalité professionnelle : en 2022, 26,5% des femmes travaillent à temps partiel pour 8,4% des hommes (Dares)
L’écart se réduit significativement par rapport à 2021. 28,1% des femmes travaillaient à temps partiel pour 7,6% des hommes. Si, sur le temps long, le travail à temps partiel des femmes régresse depuis la fin des années 90, il reste l’un des principaux facteurs d’inégalités professionnelles. Lié tant à la nature des métiers concernés qu’aux contraintes qui pèsent encore lourdement sur les mères pour l’éducation des enfants.
➤ Cet indicateur a disparu de la synthèse du rapport 2023, même s’il reste présent dans le corps du rapport.
3 – Précarité : 15,2% des femmes vivent sous le seuil de pauvreté pour 13,7% des hommes en 2021 (INSEE)
Si la part des Français vivant sous le seuil de pauvreté n’a cessé d’augmenter depuis 2008 (crise financière), l’écart entre les hommes et les femmes qui s’était réduit de 2010 à 2016 augmente à nouveau. Il atteint 1,5 points en 2021.
On se souvient que fin 2023, le Secours Catholique a fait de la précarité des femmes le thème central de son rapport annuel (lire : LA PAUVRETÉ SE FÉMINISE ET LA PRÉCARITÉ DES FEMMES S’AGGRAVE EN FRANCE) dans le but d’alerter et de faire agir les pouvoirs publics. Un sujet qui dérange.
➤ Cet indicateur a disparu de la synthèse du rapport publié fin 2023 même s’il reste présent dans les pages de la publication.
4 – Santé des femmes et droits reproductifs : 234 253 IVG ont été pratiquées en 2022, soit une augmentation de 5% par rapport à 2020 et 2021, années covid où le chiffre des IVG avait baissé.
Le nombre d’IVG ne cesse d’augmenter depuis 1995, date à laquelle il était passé sous la barre des 200.000 à 193.763. En 30 ans, le nombre d’IVG a augmenté de 21%. En augmentation, le recours croissant à l’IVG est le signe d’une constante nécessité pour les femmes de pouvoir disposer de ce droit, par souhait ou par contrainte. 2024 devrait voir la constitutionnalisation du droit ou de la liberté d’avorter.
➤ Cet indicateur a disparu de la synthèse du rapport en 2023 et n’est pas remplacé par un autre indicateur pour les droits reproductifs.
5 – Parité politique. L’Assemblée Nationale compte 37,3% de femmes en 2022 après les élections législatives pour 37,6% avant.
Si l’on peut se réjouir du net progrès par rapport à 2012, où l’Assemblée comptait 26% de femmes, souhaitons également ne pas avoir atteint le « plafond de verre » du nombre de femmes députées, après un frémissement à 39% en 2017.
Au Sénat, 36,2% des élus sont des femmes en 2023. Le chiffre progresse très légèrement par rapport à 2020. Là aussi, le « plafond de verre » semble bien figé. On rappelle que la parité est à 50%.
6 – Etudes supérieures ➤ Les indicateurs « part des femmes dans les classes préparatoires aux grandes écoles » scientifiques d’une part, économiques et littéraires d’autre part ne sont plus présentés dans le rapport en 2023 quand ils l’étaient en 2022.
Les chiffres existent pourtant, au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. La part des jeunes filles en classe préparatoire recule. Elle a diminué depuis 2019, de 42,2% à 41% en 2022. Les femmes restent très minoritaires en classes prépa scientifiques à la rentrée 2023, 30,8% avec une part stable par rapport à 2022, en revanche, la proportion de jeunes filles diminue fortement en classe prépa économiques, passant de 53% à la rentrée 2021 à 49% à la rentrée 2022.
Le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche note aussi une part des jeunes filles moindre et en diminution dans les « prépas privées ». Investissement moindre des parents aisés pour leurs filles ? Ou politique de ces établissements privés favorables aux garçons ? Le rapport sur le lycée Stanislas rendu public par Médiapart le 16 janvier 2023 souligne des discriminations et une préférence marquée pour les garçons de la part de l’institution. Or ces prépas privées sont souvent le passeport pour les grandes écoles les plus prestigieuses.
7 – Jeunesse et précarité – 13,7% des jeunes femmes de 15 à 29 ans n’ont ni emploi ni métier en 2019.
L’écart entre les femmes et les hommes est particulièrement important pour les jeunes femmes de plus de 25 ans. 19,8% des jeunes femmes de cette tranche d’âge sont sans emploi ni métier pour 14,9% des jeunes hommes en 2021 (INSEE).
Moins de jeunes filles en classes préparatoires, plus de jeunes femmes en situation de précarité durable. Aux deux extrémités de l’échelle sociale, les inégalités entre les jeunes femmes et les jeunes hommes perdurent et s’amplifient.
Alors que la jeunesse est l’une des priorités de ce nouveau gouvernement, souhaitons que ces indicateurs retrouvent leur place parmi les priorités de ce nouveau ministère et s’améliorent.
➤ Ces indicateurs INSEE ne sont plus présentés dans l’édition 2023 du rapport.
8 – Morts violentes au sein du couple : 118 femmes en 2022 pour 122 en 2021.
Le 2 janvier 2024, le Ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti annonçait que 94 féminicides étaient comptabilisés par les services de l’état en 2023 soit un recul de 20%, précisant dans les colonnes du Monde que « C’est très loin d’être satisfaisant ». Les associations, Féminicides par conjoint ou ex et Nous toutes contestent ces chiffres depuis leur publication (lire : FÉMINICIDES SOUS-ÉVALUÉS ? DES MORTES CACHÉES PAR DES LOIS FLOUES).
➤ Depuis, aucune nouvelle communication ne permet de comprendre ces écarts. L’explication est toujours attendue.
9 – Violences conjugales – En 2021, 27% des femmes ont été victimes de violence psychologiques de la part de partenaire et 15,9% de violences physiques (violences depuis l’âge de 15 ans – SSMSI Eurostat)
Si ce chiffre n’a pas été actualisé dans l’édition 2023 du rapport, on y trouve le nombre de cas pour 2022 : 209.000 femmes ont été victimes de violences conjugales (pour 244.301 victimes au total) et 84.500 ont été victimes de violences sexuelles (SSMSI 2023).
En 2020, le rapport paru en 2022 indique 142.500 femmes victimes de violences conjugales et 51.388 victimes de violences sexuelles (SSMSI 2022).
➤ (NB : la rédaction des Nouvelles News a demandé des éléments de compréhension aux émetteurs de ce rapport pour comprendre l’évolution très importante des données. Pas encore de réponse).
10 – International – 23 pays sur 193 sont dirigés par une femme en 2022… la France n’en fait pas partie.
Ce chapitre du rapport est riche en comparaisons des performances de la France avec d’autres pays. On y apprend que notre pays se situe au-dessus de la moyenne européenne en matière d’écart de salaires entre les femmes et les hommes, 14% en France pour 12,4% dans l’UE. Elle se situe « à la moyenne » pour la part de l’emploi à temps partiel chez les femmes, 27%, mais loin derrière L’Espagne, la Finlande, le Portugal notamment.
Le Président de la République a annoncé une action ancrée dans le réel lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2023. La définition d’indicateurs et leur mise à disposition des associations et des citoyens, sera incontestablement une façon de bien commencer. Encore faut-il accepter les bons et les mauvais résultats.