Le mot ‘genre’ désormais censuré par le gouvernement ? Cette affirmation de Mediapart a fait grand bruit. Largement exagérée, mais pas sans fondement. Le ministère de l’Education se montrant frileux.
Une enquête de Mediapart, publiée jeudi 6 février, laisse imaginer que le gouvernement a capitulé en rase campagne devant les attaques répétées des pourfendeurs d’une « théorie du genre » imaginaire. « Cédant à la pression des lobbies les plus conservateurs, le gouvernement a déjà, et depuis plusieurs mois, choisi de faire disparaître partout le mot ‘genre’, désormais jugé trop sulfureux » affirme notre confrère.
L’un des principaux exemples de cette « censure » fournis par Mediapart est le rapport sur les stéréotypes remis le 15 janvier à la ministre des Droits des femmes (Voir : Un nouveau rapport pour alimenter le débat sur les stéréotypes sexués). Titré « Lutter contre les stéréotypes filles – garçons », il devait à l’origine s’intituler « Lutter contre les stéréotypes de genre » :
« Vu le climat explosif, on nous a fait comprendre que si on pouvait se passer de ce terme, ce serait mieux », explique à Mediapart Vanessa Wisnia-Weill, l’une des co-auteures. Mais l’autre co-auteure, Marie-Cécile Naves, assure n’avoir pas ressenti de pression.
Quant au contenu de ce document, Mediapart affirme qu’un « travail d’orfèvre » a fait disparaître quasiment toute mention du mot « genre ». Quasiment ? Loin de là : le rapport contient des dizaines d’occurrences du mot « genre ».
Dans les ABCD de l’égalité…
De même, le programme ABCD de l’égalité dans les écoles ne fait « jamais référence » au terme de genre, écrit Mediapart. Encore exagéré. Certes, les références sont rares. Mais ce programme est fait pour parler aux enfants, on peut comprendre que le terme ne soit pas le plus parlant pour eux. En tout cas, le « guide pédagogique » destiné aux équipes éducatives utilise le terme à plusieurs reprises.
Autre exemple, celui de l’ouvrage intitulé « Déjouer le genre. Pratiques éducatives au collège et au lycée ». Piloté par le Conseil national de documentation pédagogique (CNDP), il a été remisé alors qu’il devait être publié à la dernière rentrée de septembre. Il s’agissait en effet d’éviter toute polémique autour du concept de genre, expliquait le responsable de l’édition en novembre dernier aux Nouvelles NEWS (Voir : Pas de polémique sur le genre chez l’éditeur de l’Education nationale). Et d’assurer qu’il avait, de lui-même, pris cette décision de tout stopper, sans directive du ministère de l’Education nationale.
Le ministère des Droits des femmes nous l’affirme : « Le mot genre n’est pas banni du vocabulaire du gouvernement ». Le 24 janvier encore Najat Vallaud-Belkacem parlait d’« identité de genre » devant les députés. Ce vendredi 7 février, un amendement à la loi sur la formation professionnelle voté à l’Assemblée nationale indique que l’orientation doit se faire « en luttant contre les stéréotypes de genre ».
Et le mot apparaît à plusieurs reprises dans les feuilles de route pour l’égalité adressées aux ministères en janvier dernier. Celle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche contient de nombreuses occurrences de l’expression « stéréotypes de genre ». Et il y est rappelé son rôle de « soutien des enseignements et des recherches sur le genre ».
… Mais pas dans la feuille de route du ministère de l’Education nationale
Mais il est vrai que le terme n’apparaît pas, en revanche, dans la feuille de route du ministère de l’Education nationale.
De fait, c’est en grande partie l’attitude de ce seul ministère qui pose question. Mediapart évoque l’annulation de conférences par le rectorat en Seine-Saint-Denis. Quelques jours plus tôt, L’Express soulignait comment une mairie et une proviseure avaient également annulé des interventions de spécialistes du genre dans des établissements scolaires, par crainte de polémiques.
Dans tous ces cas, ces « censures » apparaissent comme des initiatives personnelles, sans qu’on puisse les lier directement à des consignes gouvernementales. Mais les spécialistes dont les conférences ont été annulées, ainsi que des parlementaires qui se sont confiés aux Nouvelles NEWS, déplorent l’attitude du ministère de l’Education nationale.
Le ministre Vincent Peillon, en effet, n’apparaît pas à l’aise avec le concept. Il a plusieurs fois repris à son compte l’expression « théorie du genre ». Même si c’est pour dire qu’elle ne serait pas enseignée ou qu’il était contre, en évoquant cette théorie imaginaire, il conforte ceux qui la brandissent comme un épouventail. Même attitude ambiguë chez le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone.
Force d’inertie des mentalités
Parler de censure globale du terme de ‘genre’ apparaît donc exagéré. C’est uniquement quand il est associé à l’école que le gouvernement le prend aujourd’hui – et depuis plusieurs mois déjà – avec des pincettes. Si l’article de Mediapart a connu un fort retentissement, c’est aussi en raison de la récente reculade du gouvernement sur la loi Famille au lendemain de la manifestation dite « manif pour tous ». En agitant l’épouventail de la « théorie du genre » pour refuser les études de genre et la lutte contre les stéréotypes, les manifestants font prospérer l’idéologie de la domination masculine. En entrant dans leur jeu, le ministre de l’Education nationale laisse libre cours à la force d’inertie des mentalités.
La vigilance reste donc de mise, comme le soulignent les « enseignantes et des enseignants de la maternelle à l’Université » qui ont jugé bon de lancer une pétition pour soutenir les études de genre. Et y répètent ce qui serait une évidence si les manipulations des « anti-genre » ne trouvaient pas tant d’écho :
« NON, la prétendue « théorie du genre » n’existe pas, mais, oui, les études de genre existent. Le genre est simplement un concept pour penser des réalités objectives. On n’est pas homme ou femme de la même manière au Moyen-Âge et aujourd’hui. On n’est pas homme ou femme de la même manière en Afrique, en Asie, dans le monde arabe, en Suède, en France ou en Italie. On n’est pas homme ou femme de la même manière selon qu’on est cadre ou ouvrier. Le genre est un outil que les scientifiques utilisent pour penser et analyser ces différences.
OUI, les programmes scolaires invitent à réfléchir sur les stéréotypes de sexe, car l’école, le collège, le lycée sont les lieux où les enseignants promeuvent l’égalité et la tolérance, où les enfants apprennent le respect des différences (culturelles, sexuelles, religieuses). « Vati liest die Zeitung im Wohnzimmer. Mutti ist in der Küche. » (Papa lit le journal au salon. Maman est à la cuisine). Voilà comment des élèves de collège apprenaient l’allemand, à travers les aventures de Rolf et Gisela, dans les années 1980. Réfléchir sur le genre, c’est réfléchir sur les effets de ce type de messages. »
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