
Parul, seize ans, originaire de Batara bidonville de Dacca, est payée environ 15 dollars par mois pour son travail dans une usine de confection. Avec elle, ses plus jeunes frères et un cousin. Credit: Naimul Haq/IPS
En Europe comme aux Etats-Unis et même au Bangladesh, institutions et marques de vêtements prévoient des changements marginaux après le drame de Dacca. (Article actualisé le 12 mai 2013).
Plus de 1 000 morts, victimes de l’effondrement à Dacca, au Bangladesh, d’un immeuble abritant des ateliers textiles produisant à bas coût des vêtements. Environ 3 000 ouvrier.e.s travaillaient dans cet édifice de huit étages prévu pour des bureaux sur lequel avaient été installés, en dépit des règles de sécurité, 3 étages supplémentaires et de gros générateurs… « Ce nouveau drame est le dernier d’une longue série dans l’industrie du textile au Bangladesh. En 2005, l’effondrement de l’usine Spectrum avait fait 64 morts et plus de 80 blessés. En novembre 2012, l’incendie de l’usine de Tazreen a causé la mort de 112 travailleurs et travailleuses. On décomptait 8 morts dans l’incendie de Smart Export en janvier 2013. » rappelle le collectif « de l’éthique sur l’étiquette »
Peuples Solidaires et le Collectif Ethique sur l’étiquette lancent une pétition. Ces associations appellent les marques à signer un accord prévoyant une série de mesures contraignantes pour empêcher ces drames à répétition. Le but : pouvoir réaliser des audits indépendants sur les conditions de travail chez les sous-traitants. Aujourd’hui ces audits, quand ils sont réalisés, le sont par les marques elles-mêmes… Pour signer la pétition c’est ici.
Un simple accident ?
Les drames se suivent… et tout continue, business as usual. Aboul Maal Abdoul Muhith, le ministre des finances s’est empressé de minimiser indique Radio Canada « Je ne crois pas que les difficultés actuelles sont très sérieuses – c’est un accident», a-t-il affirmé. Lorsque des journalistes lui ont demandé s’il craignait que des entreprises étrangères aillent produire ailleurs, il a éludé « Ça arrive partout », pour lui ce désastre était un simple accident. L’industrie textile est la source la plus importante de revenus d’exportation : elle pèse 20 milliards de dollars au Bangladesh. Alors sur la chaîne de télévision américaine CNN, la Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a elle aussi banalisé la catastrophe en évoquant la récente explosion dans un complexe industriel américain au Texas, montrant qu’aucun pays n’était à l’abri. Même si elle appelle les groupes occidentaux à augmenter les salaires, les accusant d’être «en partie responsables» du drame, elle n’envisage pas de mesures drastiques.
Pénaliser le Bangladesh
Autant dire que la pression est assez faible sur les marques de vêtements pour qu’elles revoient leurs pratiques de délocalisation.
L’Organisation internationale du Travail a fini par demander aux autorités de prendre «d’urgence des mesures pour éviter que ne se reproduise un tel drame » après avoir envoyé au Bangladesh une mission dirigée par Gilbert Fossoun Houngbo. 6 500 usines doivent être inspectées, selon lui. « Toutes les découvertes et les recommandations qui seront faites devront être suivies de mesures correctives »… Et quid des autres usines des « pays à bas coût » tout aussi dangereuses ailleurs dans le monde ?
Une réaction en Europe : Catherine Ashton, Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, et le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, ont rappelé que l’Union européenne est le principal partenaire commercial du Bangladesh et menacé le Bangladesh de perdre les avantages dont il profite du fait de son statut de pays en développement, comme l’exonération des droits d’importation dans l’UE.
L’enseigne britannique Primark a annoncé qu’elle s’engageait à « verser des indemnités » aux victimes de l’accident, sans en préciser le montant. Les autres marques comme Mango tentent de minimiser en expliquant qu’elles ne font fabriquer qu’une toute petite partie de leur production là-bas… Arrêt sur Images fait observer au passage qu’« aucun magazine féminin n’a cherché à en savoir plus ».
Aux Etats-Unis, seul Walt Disney, qui fait fabriquer ses produits dérivés dans 172 pays, a décidé de ne plus rien commander au Bangladesh indique le New York Times. De l’autre côté de l’Atlantique (voir plus bas), comme de ce côté-ci, les fabricants de vêtements font semblant d’agir.
Pas vu, pas pris
Les marques sont pourtant supposées prendre des engagements dans le cadre de la RSE, responsabilité sociale des entreprises. Et elles finissent par s’y plier lorsque des associations s’en mêlent et font pression, aux Etats-Unis surtout. Les « donneurs d’ordre » sont supposés faire des audits sur les conditions de travail chez leurs sous-traitants mais ces derniers camoufflent habilement ce qui dérange quand les auditeurs s’annoncent. Des associations réclament des audits indépendants (vour encadré pétition plus haut). Pour l’instant, le système des délocalisations vers les pays à bas coût de main d’œuvre et droit du travail famélique ne semble pas remis en question.
Pas plus qu’il ne l’était dans les années 90 quand la France voyait fermer ses usines textiles à tour de bras. A l’époque, les ouvrières peu syndiquées mal organisées, n’étaient pas soutenues par les pouvoirs publics… Pas de plans de revitalisation des bassins d’emploi ou autres plans de reconversion. Et puis c’était un travail principalement féminin qui disparaissait. Elles n’avaient que leurs yeux pour pleurer. Leur malheur n’a pas rendu d’autres femmes plus heureuses… Et la catastrophe du Bangladesh n’y changera, semble-t-il, pas grand-chose.
Et aux Etats-Unis ? L’agence IPS a enquêté :
Peu de changements concrets au lendemain de l’effondrement de l’usine de Dacca
Mais les compagnies américaines semblent opposer à ces exigences des méthodes de plus en plus créatives pour esquiver ces recommandations de base, en initiant leurs propres mesures de sécurité, mesures dénoncées comme vides de sens, ou en se retirant tous en même temps pour éviter les risques. « Tout ce que nous voyons, ce sont des dons symboliques et des promesses vides qui ne seront pas appliquées » rapporte Scott Nova du Consortium des droits des travailleurs. « N’importe quel programme concret doit être rendu juridiquement obligatoire » affirme Liana Foxvog, directrice de communication du Forum international du droit du travail (ILRF en anglais), un groupe de défense sur place selon IPS. « Ce programme doit payer le prix suffisant pour veiller à son respect, et doit inclure des représentants des travailleurs afin que les voix de ceux-ci soient entendues sur leurs réels besoins ». Les entreprises américaines The Children’s Place et Cato Fashion ont toutes deux été repérées comme clientes de l’usine, mais des entreprises comme JCPenney, qui vendent des marques européennes fabriquées dans cette usine, sont également sous la pression de groupes activistes. « Psychologie mortelle » Tandis que la critique demande des changements substantiels dans les pratiques commerciales afin de prévenir un autre drame de Dacca, les compagnies multinationales ont répondu cette semaine par un florilège de communiqués de presse, et par des tentatives pour s’innocenter. « Nous n’avions aucune production en cours au moment de l’accident » a déclaré Cato Fashion. The Children’s Place a fait une declaration similaire : “aucun de nos vêtements n’était en production » au moment de l’effondrement. Des groupes activistes ont aussi dénoncé la réticence des entreprises à signer un accord exigeant (appelé l’Accord du Bengladesh sur les incendies et la sécurité des bâtiments). C’est un manque d’engagement envers la sécurité des travailleurs. « L’insatiable recherche de prix toujours plus bas et de livraison toujours plus rapide par les usines cultive cette psychologie mortelle au Bangladesh » accuse Workers Rights Consortium (WRC), un groupe de surveillance indépendant . Selon le WRC, l’accord obligerait les entreprises participantes à «ouvrir les portes de leurs usines au Bangladesh à l’inspection indépendante et … payer pour un programme national de rénovation et de réparation pour sécuriser ces bâtiments. » Les entreprises se fixent des règles… très souples Les négociations ont débuté en décembre 2010. L’accord a besoin de quatre sociétés pour devenir contraignant, jusqu’à présent, il en a seulement attiré deux. Des entreprises choisissent de créer leur propre programme. C’est le cas de GAP Inc., qui détient les marques Gap, Old Navy et Banana Republic, qui a renoncé au programme national et créé le sien en Octobre 2012. Pourtant, le plan alternatif de GAP est insuffisant. Il ne comporte pas de dispositions sur la prise en charge des frais de mise en conformité des usines pour la sécurité, ni de soutien aux syndicats surveillant la mise en œuvre des travaux. Plus important encore, le plan est basé sur la bonne volonté de l’entreprise et ne comporte aucune mesure contraignante pour faire respecter les mesures. IPS a contacté GAP, mais n’a obtenu aucune réponse. Wal-Mart, l’un des plus grands détaillants aux États-Unis, affirme ne pas avoir été en contact avec l’usine de Dacca mais certaines sources disent le contraire. L’enseigne suit le même chemin que GAP. Un e-mail du bureau des affaires corporatives internationales de la société adressé à IPS signale la donation de 1,6 millions de dollars après l’incendie Tazreen en 2012 pour mettre en place l’Académie de l’environnement, de la santé et de la sécurité au Bangladesh. L’Académie donnerait « une formation complète» sur la sécurité au travail aux travailleurs de l’habillement. Wal-Mart a également adressé à IPS un communiqué de presse indiquant le «renforcement » de la réglementation de sécurité incendie en Janvier 2012 dans ses usines. Ces règlements prévoient des «exercices d’incendie réguliers, un nombre suffisant de voies de sortie et une formation de sécurité incendie à tous les niveaux de direction de l’usine», un engagement « faible et insuffisant » selon nombre de critiques. «Ces entreprises disent qu’elles font quelque chose pour éviter d’endommager l’image de leurs marques, mais concrètement, ne veulent pas avoir à faire quoi que ce soit », affirme-t-il « Donc, nous voyons des dons symboliques et des promesses vides qui ne peuvent être appliquées. Ils font des relations publiques et attendent que l’attention des médias s’estompe ». |
Photo : Parul, seize ans, originaire de Batara bidonville de Dacca, est payée environ 15 dollars par mois pour son travail dans une usine de confection. Avec elle, ses plus jeunes frères et un cousin. Credit: Naimul Haq/IPS
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