Terrain agrandi, ballon alourdi, cages démesurées, temps de match plus long. A l’occasion de l’Euro féminin 2025, des hommes ont accepté de jouer dans des conditions comparables à celles imposées aux femmes. De quoi calmer les ardeurs de ceux qui méprisent les footballeuses.

Il n’est pas rare que le football féminin soit critiqué, y compris (surtout ?) par les fans de football masculin. Trop « lent », pas assez « spectaculaire » résume France Info. Il n’est pas rare non plus que des hommes pensent pouvoir battre une athlète à son sport de prédilection, ou se servent des victoires de jeunes équipes masculines (moins de 15, 17 ou 19 ans) contre des équipes professionnelles pour disqualifier le football féminin.
Pour contrer ces idées reçues, l’émission Einstein de la Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) a diffusé, avant l’Euro 2025, une vidéo intitulée « Les femmes sont les héroïnes du football – c’est scientifiquement prouvé ». L’objectif : montrer à quel point les performances sportives des joueuses sont impressionnantes, en imposant à des hommes de jouer dans les mêmes conditions que les femmes.
Différences anthropométriques et physiologiques
C’est en 2019 qu’Arve Vorland Pedersen, Ingvild Merete Aksdal et Ragna Stal, trois chercheur·euse·s de l’Université norvégienne de sciences et de technologie (NTNU), pointent du doigt les « différences anthropométriques et physiologiques entre les sexes » et partagent « une comparaison plus juste entre le football masculin et le football féminin ». « Les fmmes jouent dans des conditions qui ont été conçues pour les hommes », explique Arve Vorland, interviewé par la SRF lors d’un match Suisse-Norvège, « Cela m’énerve un peu que les gens ne soient pas capables de le remarquer d’eux-mêmes, qu’il y ait des gens qui pensent que le football féminin est juste moins bon que le football masculin. »
Pour révéler au grand jour ce constat qui apparaît pourtant évident à ces scientifiques, l’étude cherche à montrer « qu’une grande partie – voire la plupart – des différences entre les sexes dans le style de jeu du football sont dues à des facteurs physiques externes, qui conduisent à des adaptations logiques et stratégiques de la part des joueuses ». Et les résultats sont éloquents. Pour jouer dans les mêmes conditions que les femmes, les hommes devraient composer avec un terrain 20 % plus grand (132 x 84 mètres au lieu de 105 x 68 mètres), des cages de 2,72 mètres de haut et 8,40 mètres de large (au lieu de 2,44 mètres x 7,32 mètres), ainsi qu’une balle équivalente à un ballon de basketball.
Pour autant, les auteur·ice·s de l’étude ne préconisent pas un changement des règles du football pour les femmes. En avançant ces chiffres, ces dernier·ère·s proposent une meilleure solution : « Apprécier le sport tel qu’il est aujourd’hui, avec ses petites différences entre les sexes, et peut-être s’efforcer d’accroître le niveau de compétence des spectateurs ». Iels encourageaient cependant dès 2019 « les chaînes de télévision à organiser et à retransmettre » un tel match pour des joueurs de football masculin. Grâce à la SRF, c’est désormais chose faite.
Un match hors-normes, pour les joueurs comme pour les arbitres
Un terrain et des cages surdimensionnées, un ballon plus lourd, un temps de jeu allongé : voilà ce qui attendait les joueurs U19 (moins de 19 ans) du FC Winterthour et du FC Thoun, deux clubs suisses évoluant en « Super League ». Pendant 113 minutes (au lieu de 90), et sous les yeux de la légende du football suisse Martina Moser, footballeuse retraitée aux 126 sélections, les deux équipes se sont affrontées dans les mêmes conditions que les équipes féminines. Dès la fin de la première mi-temps, l’un des joueurs confie : « J’ai les jambes lourdes. C’était fatigant. J’ai été très bruyant, je me suis plaint très souvent. Je ne voudrais pas le refaire, plus jamais », avant d’exprimer son respect pour les joueuses féminines.
Du côté des arbitres, la fatigue s’exprime aussi : « C’est intense : les distances de sprint sont plus longues, les lignes sont plus éloignées les unes des autres donc il est plus difficile d’anticiper l’endroit où nous devons nous positionner… On sent bien que le terrain est plus long », explique l’un d’eux. Et cette fatigue n’est pas seulement ressentie, elle est bien visible. « Je pense qu’ils ont énormément de mal avec le ballon lourd. Tout est un peu plus lent. Pour les corners, ils n’arrivent pas à mettre le ballon au centre », observe le réalisateur Beni Giger, chargé de filmer et monter les images du match, « c’est très intéressant à regarder ».
À la fin des 113 minutes réglementaires, le score est à 3-3. Mais pour la SRF, il faut un vainqueur. Plutôt que de jouer les prolongations, qui dureraient environ 37 minutes au lieu de 30, les joueurs préfèrent passer directement aux tirs au but. Une épreuve difficile pour les gardiens, dont les cages à défendre sont bien plus grandes dans ces circonstances. Le FC Winterthour finit par l’emporter, marquant ainsi la fin de cette expérience.
Ce match n’a été diffusé que quelque temps après une défaite de l’équipe nationale suisse contre l’équipe U15 du FC Lucerne lors d’une rencontre amicale. Si certaines joueuses comme Ramona Bachmann ont pris la parole pour expliquer les raisons physiologiques de cette défaite, l’affaire a tout de même fait les gros titres dans le pays et en Europe. « Quand une erreur se produit dans un match féminin, elle est toujours attribuée au fait d’être une femme », témoignait Martina Moser lors du match-expérience, « je vois les mêmes erreurs chez les hommes, mais là, on dit : “les erreurs ça arrive, on continue” ». Et il est temps que cela change.