La série « Sambre » démonte la mécanique d’impunité des violeurs mais fait l’impasse sur un rouage essentiel : la négligence des médias d’information. Ultime tabou.

« Sambre », diffusée sur France2 raconte, en six épisodes, des vies de femmes détruites par un « homme ordinaire » qui a pu commettre, en 30 ans, plus d’une cinquantaine de viols, au petit matin, avant d’aller travailler. Sans être inquiété. Toujours le même mode opératoire, dans la même zone, au bord de la Sambre dans le Nord.
La série passe par la fiction pour raconter des faits réels à partir de l’enquête de la journaliste Alice Géraud, Sambre. Radioscopie d’un fait divers, publiée chez JC Lattès début 2023. Alice Géraud a ensuite écrit avec Marc Herpoux ces six épisodes et la réalisation a été assurée avec talent par Jean-Xavier de Lestrade, oscarisé pour, notamment, « Un coupable idéal » en 2002.
La négligence des policiers, la détresse et la honte des victimes, la solitude des femmes, juges ou maire de la commune, qui tentent de briser le silence… tout est admirablement filmé. Du point de vue des victimes. L’une, défigurée, entend un policier lui dire : « vous avez eu de la chance ». Et elle reprendra cette expression à son compte… Le déni du viol est complet.
Le tabou des tabous
« Sambre » décortique les mécanismes qui permettent l’impunité des violeurs. Cependant, il manque un rouage essentiel dans cette fabrique du déni : la responsabilité des médias. Comme si la dénonciation du silence des médias était impossible. Comme si dénoncer le maltraitement journalistique des crimes sexuels était l’ultime tabou.
Alice Géraud a fouillé dans les archives des journaux. Et elle n’a pas trouvé grand-chose. Juste quelques brèves en « faits divers »… Mais c’est justement ce silence, cette passivité des médias qu’il aurait fallu montrer de la même façon qu’est montrée la négligence de la police ou du système judiciaire. Dans la série, une jeune juge se bat pour rouvrir l’enquête, accompagne les policiers sur le terrain pour s’assurer qu’ils fassent leur travail… Mais ces derniers ont d’autres urgences. Et les collègues du tribunal découragent la juge et la dissuadent d’aller plus loin. Une scène la montre renonçant à aller à une soirée organisée par ses collègues. Depuis l’entrée de la salle où a lieu cette fête, elle ne voit que des hommes.
Dans les coulisses des médias d’information
Des scènes identiques auraient été possibles dans les coulisses d’un journal. On aurait voulu voir une journaliste se battre pour enquêter sur cette série de crimes et entendre sa chefferie masculine réduire ce projet d’enquête à quelques mots dans la rubrique « faits divers ». On aurait voulu entendre ces chefs demander comment étaient habillées les victimes, ce qu’elles faisaient seules au petit matin à un arrêt de bus au lieu d’interroger l’inaction de la police. Ces scènes ont existé dans des rédactions (avec parfois des blagues salaces) [NDLR : L’Association des femmes journalistes avait de multiples témoignages].
La minimisation des violences sexuelles est ancrée dans les médias (voir plus bas). Les journaux sont autant responsables de ce qu’ils ne disent pas que de ce qu’ils disent. Dans la série, un collègue conseille à la pugnace juge de changer d’affectation et d’aller aux affaires familiales, plus féminin que les affaires criminelles. De la même façon, les journalistes femmes étaient affectées aux rubriques « tricot ».
Parole étouffée
Dans « Sambre », la seule personne qui essaie de faire bouger les médias apparaît au 3ème épisode. La maire de la ville dans laquelle se déroule les faits vient au secours d’une employée qui a été violée et comprend qu’un violeur en série sévit dans la région. Elle décide alors d’en parler dans les médias pour protéger les femmes. Mais une seule victime accepte de témoigner dans la conférence de presse qu’elle organise. Les autres sont terrorisées et honteuses. Certaines n’ont pas dit à leurs proches ce qu’elles avaient subi.
La scène de la conférence de presse est terrible avec des photographes qui s’approchent de cette victime pour faire des plans serrés sur son visage. Le public étouffe. Les journalistes se rendent à son domicile et fouillent dans sa vie à elle, pas dans les défaillances de la police ou de la justice. Un traitement journalistique qui dissuade les femmes de dénoncer les crimes sexuels dans les médias. Les journaux se font gardiens du déni du viol.
Les femmes entendues… si les hommes le veulent bien
Avant même de voir la série, un élément est frappant dans les critiques qui en sont faites : c’est le réalisateur, Jean-Xavier de Lestrade -indéniablement très doué-, qui est mis en vedette avec par exemple ce titre de France-Info : « Sambre, le nouveau chef-d’œuvre de Jean-Xavier de Lestrade». Comme si, seul le travail d’un homme pouvait rendre le sujet audible. Jean-Xavier de Lestrade a beau mettre en valeur le travail d’Alice Géraud à chaque interview, c’est lui que les médias veulent entendre.
Sur ce même thème, La Nuit du 12, l’excellent film d’un homme, Dominique Moll, a été mis sur le devant de la scène et a reçu un César. En 2017, Alain Tasma signait le très remarqué téléfilm « Le viol » qui relatait une bataille judiciaire hors normes après un viol collectif commis en 1974, bataille menée notamment par Gisèle Halimi qui avait abouti à une loi en 1980 définissant le viol comme un crime.
La surmédiatisation des hommes qui s’engagent dans des combats féministes est une mise en abyme de l’invisibilisation des femmes et de la réticence des médias à relayer la parole des femmes.
Les femmes qui ont voulu faire entendre la voix féministe ont toujours eu le plus grand mal à être médiatisées. Pensons à Anne Sylvestre qui a dû créer sa maison de disque pour enregistrer ses chansons féministes. Et a été médiatisée essentiellement pour ses chansons pour enfants. (lire : Anne Sylvestre, chanteuse engagée). Les médias n’aiment pas que les femmes sortent des sentiers battus des stéréotypes.
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