Créer 500 000 emplois en trois ans. Telle était la promesse de Jean-Louis Borloo – à l’époque ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement – pour accompagner le vote de la loi du 26 juillet 2005 sur les services à la personne. Ce texte législatif devait faire du domicile et de la famille l’un des creusets de la lutte contre le chômage. A l’heure du bilan, les chiffres sont très en-deçà des attentes. Ce ne sont pas 500 000, mais moins de 100 000 vrais emplois qui ont été créés.
La population vieillissant, plus d’un million de personnes pourraient être dépendantes en 2040, contre 800 000 actuellement – c’est ce que prévoit le Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion sociale. D’ici là, dans le sens inverse, le nombre d’enfants susceptibles d’aider leurs parents âgés va diminuer. En outre, l’insertion massive des femmes sur le marché du travail rend maintenant possible la professionnalisation d’une foule de tâches auparavant assurées par les femmes à la maison : la prise en charge des personnes âgées mais également la garde d’enfants, le ménage, le repassage, l’aide administrative… Pour un peu, le domicile pourrait désormais se transformer en entreprise.
Les ambitions du plan Borloo n°1
Un rapport du Centre d’analyse stratégique, publié en 2007, prévoyait d’ailleurs que les services à la personne feraient partie des cinq secteurs qui pourraient concentrer la moitié des emplois à pourvoir d’ici à 2015. Restait par conséquent à donner les moyens aux consommateurs d’utiliser ces services.
En 2006, le plan Borloo 1 des services à la personne est initié dans ce but. Trois ingrédients principaux composent la recette : des aides publiques importantes en faveur de toutes les activités exercées au bénéfice de particuliers à leur domicile ; la création d’ « enseignes » nationales permettant aux particuliers de faire appel à tout moment à des organismes capables de mobiliser le personnel nécessaire pour y répondre ; et la création d’un chèque emploi service universel (Cesu), qui prend la suite du chèque emploi service. Le tout chapeauté par une Agence nationale des services à la personne (ANSP).
Au total, des services à domicile moins coûteux pour les usagers, de plus grandes facilités d’accès, des aides pour les employeurs encouragés par une fiscalité incitative : tous les ingrédients du succès se trouvent réunis.
500 000 emplois ? Non, moins de 100 000 équivalents temps plein
Pour quels résultats finalement ? Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat chargé de l’Emploi, l’affirmait il y a un an : on dénombrait « 103 000 créations d’emplois en 2006 et 130 000 en 2007. Au total, fin 2008, on recensait plus de 2 millions de personnes » dans le secteur.
Deux millions de personnes, certes, mais pas d’emplois à proprement parler. Dans son dernier bilan, en octobre, l’Agence nationale des services à la personne indiquait : « En 2008, quelques 1 940 000 personnes auront travaillé dans le secteur au moins une heure. » Ce qui est bien plus relatif.
Pour gonfler les chiffres, le secrétaire d’Etat compte en effet tous les contrats, même ceux de quelques heures par an (et en rajoute un peu au passage pour passer les 2 millions). Or, le temps partiel est extrêmement développé dans le secteur (chez les particuliers, 40% des salariés travaillent moins de 100 heures par an). Pour coller aux calculs habituels de la statistique française, il faut compter en « équivalents temps plein » (ETP).
Et là, les chiffres disent autre chose. Fin 2008, selon le rapport de l’ANSP, on recensait 842 000 salariés en ETP dans le secteur, et non pas 2 millions. L’agence, dans sa dernière campagne de communication, annonce que 390 000 emplois ont été créés depuis 2005. Mais cela représente en fait, selon ses propres calculs, l’équivalent de moins de 100 000 emplois à temps plein.
On reste donc loin, très loin, des objectifs affichés par Jean-Louis Borloo, qui prévoyait la création de 500 000 emplois et une « évolution équivalente à celle du téléphone portable ».
Certes, le solde reste positif, quand l’économie globale, en France, a perdu en 2009 plus de 300 000 ETP. La part des services à la personne, dans l’ensemble de l’économie, progresse d’un dixième de point par an. De 3,4% en 2005 à 3,7% en 2008. Une progression, oui, mais pas la révolution annoncée.
Risque de paupérisation
Au-delà de la controverse autour des chiffres, une question se pose : de quels types d’emplois s’agit-il ?
Car le temps partiel, et même très partiel, domine dans le secteur. Selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, la moyenne est de 15 heures par semaine, et les horaires restent variables pour les trois quarts des travailleurs. Ou plutôt des travailleuses puisque la population du secteur est féminine à plus de 90%, la moyenne d’âge de plus de 45 ans, et le niveau de formation majoritairement de CAP à Baccalauréat. Enfin, ces salariées cumulent les emplois, les employeurs et les différents statuts d’emploi. Sans compter que les agences d’intérim aimeraient bien, elles aussi, se faire une place dans le secteur.
Un secteur qui, par ailleurs, ne ménage pas la santé. Les accidents du travail y sont supérieurs à la moyenne française. Tandis que la fréquence des troubles musculo-squelettiques est trois fois supérieure à celle des autres secteurs. Enfin, il arrive en seconde position pour les troubles dépressifs.
Le plan 2 des services à la personne, lancé en mars 2009 par Laurent Wauquiez, prévoit-il de subordonner les aides fiscales au fait de passer par des organismes chargés de vérifier la qualité des emplois occasionnés ? Pas vraiment. Car l’ambiance est davantage, en temps de crise, à se réjouir du moindre emploi créé, fût-il à temps très partiel, et exténuant.
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Images : campagne de l’ANSP en 2008
