Les réactions de certaines de nos « élites intellectuelles » à l’affaire Strauss-Kahn ont donné lieu à un enfilage de propos sexistes largement massacrés aux quatre coins de la Toile et dans la presse internationale. Du coup les médias se remettent en question… très légèrement.
Il aura fallu moins de 24 heures à trois associations pour réunir près de 3000 personnes à Beaubourg dimanche 22 mai 2011 et à peine plus pour rassembler près de 20 000 signatures, via la Toile, contre les relents de sexisme suscités par l’affaire DSK. Rappelons-le : il ne s’agissait pas de se prononcer sur des faits que chacun ignore mais de dénoncer des discours qui verrouillent solidement la loi du silence sur les violences sexuelles. Les femmes seraient des affabulatrices, les violences sexuelles ne seraient pas graves, et de toutes façons, celles qui les subissent les auraient bien cherchées. Avec, en toile de fond l’idée qu’il est dangereux de dénoncer un homme surtout s’il a du pouvoir. Comme souvent quand il y a violence sexuelle, la victime passe pour coupable et vice versa.
Euphémismes
Jusqu’à l’avènement des médias numériques, les grands médias traditionnels relayaient, de l’écume de l’opinion publique, ce qu’ils voulaient bien relayer. Sur les violences sexuelles, l’euphémisation était de rigueur. Mais désormais, ça ne passe plus. Jean-François Kahn parlant de « troussage de domestiques » quand il y a suspicion de viol, a achevé d’exaspérer une bonne partie de la toile. « On croyait avoir touché le fond, mais on creuse encore » a-t-on pu lire dans des réseaux sociaux et sur des blogs déjà exaspérés par le « Y a pas mort d’homme » de Jack Lang, ou l’emphase de Bernard Henri Levy sur son blog : « séducteur, sûrement, charmeur, ami des femmes… » Mélanger, amalgamer, minimiser… ceux que la célèbre avocate Gisèle Halimi définit comme « une caste », ont eu l’habitude d’occuper tout l’espace vocal et médiatique et d’imposer leur point de vue avec cette complicité virile glorifiant ceux qu’ils définissent comme des séducteurs, même lorsqu’il est question de harcèlement et de viol.
Bronca
Nos éditorialistes ont eu à faire face à une bronca dans la presse internationale. J’en ai été la première surprise dès le lendemain de l’arrestation du directeur du FMI, lorsque la télé nationale suédoise est venue m’interviewer après avoir lu mon sujet sur l’omerta. Puis lorsque le Guardian m’a demandé de reprendre le même article en durcissant le ton avec ce titre « Ne laissez pas DSK devenir une victime ».
Et les éditorialistes anglo-saxonnes n’y sont pas allées de main morte ! « Ces narcisses qui défendent DSK » titre Michelle Goldberg dans Newsweek. Bernard Henry Levy qui a occupé l’espace médiatique a été la cible du Huffington Post. Asher Smith voyait dans ses propos – une «rationalisation pathologique de l’agression sexuelle». Même analyse pour Melissa Bell du Washington Post : «C’est une méthode classique pour des avocats de la défense de blâmer la victime dans une affaire de viol. Il est honteux que Lévy ait adopté la même tactique». Vendredi 20 mai, sur France inter, la journaliste Canadienne Denise Bombardier n’a eu que cinq minutes au micro de Pascale Clark. Mais cinq minutes pour dire ce que les Françaises n’osent pas dire. Exaspérée par l’argument des copains « ce n’est pas l’homme que je connais », elle tranche. « Il n’y a que les femmes qui savent si les hommes sont violents. » Oui, mais jusqu’à présent on ne les écoutait pas.
Morale, séduction, abus de pouvoir et violences
La presse française, se félicite de sa législation sur la protection de la vie privée. Très bien. Mais les ténors des médias français multiplient les amalgames. Entre morale et violence d’abord. Les initiatrices de la manifestation du 22 mai, Caroline de Haas ou Clémentine Autain répètent qu’il ne faut pas tout mélanger : infidélité, orientation sexuelle, fréquentation de clubs échangistes, pratiques diverses… Tout cela ne concerne que les principaux intéressés et les médias n’ont pas à s’en emparer. Tant qu’il y a consentement entre les protagonistes, c’est du domaine de la vie privée. Ce qui est reproché aux journalistes français, c’est leur silence sur les comportements « borderline » de certains hommes, ceux qui se passent du consentement ou tentent de le faire. L’affaire DSK ne sert pas vraiment de leçon, ils persistent et signent l’amalgame. Le 18 mai 2010 Nicolas Demorand écrit dans Libération : « Libération continuera, premier principe, à respecter la vie privée des hommes et des femmes politiques. » Le Canard Enchaîné appuie : « l’information s’arrête toujours à la porte de la chambre à coucher ». Même si des viols se produisent derrière la porte ?
Autre confusion entretenue dans les médias : séduction et violence. La presse fait passer pour un homme qui « aime les femmes » (comme il aime les cigares, le bon vin ou le golf…) une personne qui est accusée de viol, ce qui est précisément la négation de l’amour. Samedi 21 mai, sur LCI, dans l’émission Ferry/Julliard, alors qu’il est question du comportement de DSK présenté comme un homme qui aime séduire, Julliard qui a plutôt l’habitude de peser ses mots, lâche : « On savait que c’était un harceleur pas un violeur. » Encore une fois, un homme très influent dans les médias décrète que le harcèlement sexuel est acceptable.
Enfin, nos éditorialistes passent à côté de la question de l’abus de pouvoir. De la remarque déplacée au viol en passant par le harcèlement, les victimes ne peuvent parler sans risquer de se mettre en danger. Piroska Nagy, l’économiste hongroise qui avait accusé le directeur du FMI d’avoir abusé de sa position avait écrit aux enquêteurs : « J’avais le sentiment que j’étais perdante si j’acceptais, et perdante si je refusais. » Un sentiment que partagent toutes les victimes de ces abus. DSK a été blanchi et les enquêteurs ont conclu à une grave erreur de jugement de sa part. Mais le sujet reste traité avec beaucoup de légèreté dans les médias français.
Le monopole de la parole
Les hommes qui s’expriment dans les médias en France n’ont pas l’habitude d’être remis en question. Ils éditorialisent, débattent, s’invectivent entre eux et avec les hommes politiques. S’ils vous disent qu’un viol ce n’est pas grave, que la drague appuyée c’est rigolo et que le harcèlement sexuel, franchement, on ne va pas en faire tout un plat… ils n’ont pas l’habitude d’être contredits. Monopolisant la parole dans les médias, ils disent aux femmes ce qu’elles doivent penser.
Seulement voilà, la caste de dirigeants mâles n’a plus le monopole de la parole publique. Ils se font mordiller le mollet par les blogueurs et prennent en pleine face les assauts de la presse étrangère et ne savent plus comment réagir.
Sur le plateau de France 2 qui avait bouleversé ses programmes jeudi 19 mai pour suivre les événements à New York, ils sont une poignée de grands éditorialistes. On sent l’affolement, ils hurlent plus qu’à l’accoutumée et entonnent des couplets de vertu contre l’avocat Robert Badinter qui a ouvertement pris le parti de défendre son ami Dominique Strauss-Kahn et, logiquement, parle plus de lui que de la plaignante.
Changer de métier
Sur le plateau, deux femmes auront la parole un peu plus de 30 secondes chacune. Une journaliste anglaise du Guardian et la directrice de la rédaction de France Inter, Hélène Jouan. Dans le faible temps de parole qui leur est imparti, elles auront à peine le temps de répondre à la seule question qui leur est posée : Et vous ? Avez-vous eu à subir des avances ? Remarquons au passage que, comme à l’accoutumée, on demande aux hommes de s’exprimer en tant qu’experts et aux femmes en tant que victimes, mais pour une fois ça a du sens. Hélène Jouan se lance. Elle aura le temps de dire deux choses indispensables : elle-même a failli renoncer au métier de journaliste tant elle en avait assez de subir les assauts de certains hommes. Et « les hommes de pouvoir ont des comportements… difficiles à dénoncer ». Donc oui ça existe. Partout où il y a des hommes de pouvoir, en politique, dans les entreprises ou dans les médias, le phénomène existe et la loi du silence s’impose. Déposer une plainte, est très risqué : la femme peut être mise en quarantaine puis perdre son job et son honneur parce que, bien sûr, elle sera traitée d’affabulatrice. En France, les femmes savent qu’elles ont plus à perdre en faisant un procès qu’en subissant. Même celle qui occupe aujourd’hui un poste très important à la rédaction de France inter a envisagé de renoncer à son métier.
L’affaire DSK va-t-elle contribuer à briser la loi du silence ou au contraire la renforcer ? Entre les fausses accusations de harcèlement et de viol qui pourraient sortir, les difficultés à prouver les histoires vraies, et la notion de vie privée très extensible chez les journalistes français. Difficile à dire.