La nouvelle secrétaire générale de la CGT ne se contente pas du « minimum syndical » de l’égalité salariale. Elle est de ces féministes qui prônent un changement de valeur bien plus large.
Sophie Binet a été élue le vendredi 31 mars secrétaire générale de la CGT de façon inattendue. Première femme à ce poste en 128 ans d’existence du syndicat, elle a été félicitée, y compris par la Première Ministre, Elisabeth Borne qui a assuré : «Je pense que c’est une bonne nouvelle pour toutes les femmes. » L’ambiance risque d’être moins chaleureuse demain mercredi 5 avril, lors d’une rencontre prévue pour apaiser la crise de la réforme des retraites. La nouvelle élue exigeant le retrait d’une réforme dont la Première ministre ne veut pas parler.
Mais ce sont surtout les féministes qui se sont réjouies de cette élection car Sophie Binet n’est pas qu’un symbole. A 41 ans, ancienne conseillère principale d’éducation (CPE) en lycée professionnel, elle était jusque-ici la secrétaire générale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Ugict-CGT) et chargée de l’égalité femmes-hommes. Référente du collectif « femmes mixité » à la CGT pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail, Sophie Binet est membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle est co-autrice du livre : « Féministe, la CGT ? Les femmes, leur travail et l’action syndicale, avec deux autres figures du syndicat, Rachel Silvera et Maryse Dumas (Édition de l’Atelier, 2019). »
Comme ses co-autrices, elle défend une vision du féminisme dans le monde du travail bien plus large que la seule question de l’égalité salariale. L’égalité femmes-hommes ne peut advenir sans une valorisation du travail assigné aux femmes, principalement le travail de soin, -le care- qu’il soit réalisé gratuitement dans les foyers ou via un travail salarié, souvent précarisé, majoritairement exercé par les femmes. Elle défend l’idée de réduire le temps de travail pour laisser à chacun et à chacune davantage de temps pour le care. Lors d’une rencontre contre la réforme des retraites, elle affirmait que « Les 35 heures ont été la dernière grande réforme féministe » puisque cette réforme a permis aux femmes de travailler davantage à temps plein tout en disposant de temps pour ce travail du care.
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Faute de parvenir à réaliser cette transformation sociétale écoféministe, elle bataille aussi depuis de longues années pour l’égalité salariale. En 2020, son syndicat déclenchait la première action de groupe contre la Caisse d’Épargne Île-de-France (CEIDF) pour discrimination salariale.
Lire : Action de groupe pour en finir avec les discriminations systémiques des femmes et Contre les discriminations, la CGT passe à la (class) action
Et elle n’avait pas de mots assez durs pour tailler en pièces l’ « index de l’égalité ». C’est du « féminism washing » disait-elle « une incurie gouvernementale », « une machine à opacifier les inégalités et les discriminations », une façon pour les employeurs de créer des outils de dissimulation et « organiser leur innocence. » (lire aussi : Egalité professionnelle, le revers de l’index)
Au sein de son organisation, elle veut faire évoluer les mentalités et en finir avec l’image viriliste du combat syndical : « Il faut non seulement arrêter de limiter le combat à des attitudes guerrières, mais aussi cesser de minimiser l’importance des luttes dans les secteurs à prédominance féminine », disait-elle dans la Nouvelle Vie ouvrière, journal de la CGT, il y a trois ans.
Elle veut aussi donner un tournant écologiste à la politique et sait que les combats contre le dérèglement climatique et les inégalités sociales s’entremêlent. « Il faut transformer l’outil productif pour répondre aux enjeux environnementaux à partir de nos enjeux syndicaux quotidiens », a-t-elle déclaré.
À l’Ugcit, elle avait mis en place un « radar travail et environnement » pour permettre aux salarié·es et fonctionnaires de « peser sur la transformation écologique de leur entreprise ou collectivité ». La question environnementale étant « intimement liée au mode de production capitaliste ». La lutte écoféministe s’annonce.
La CGT a bien changé depuis 1976. Cette année là, les gros bras du service d’ordre du syndicat boutaient les femmes hors de leur lutte, rappelle Martine Storti.