Initiés par une féministe anglaise, de nombreux et poignants témoignages de violences sexuelles sont publiés sur le réseau social Twitter. Leurs auteures expliquent pourquoi elles se sont tues.
« Je n’ai pas porté plainte parce que je sortais avec lui, nos parents étaient meilleurs amis, nous étions amis depuis l’enfance. Et je ne savais pas comment le dire ». Depuis lundi soir, les témoignages de ce type sur le silence qui entoure les violences sexuelles se multiplient sur Twitter. Des messages édifiants sur l’extrême difficulté de parler de la question.
Je n’ai pas porté plainte…
Le mouvement a été lancé par la bloggeuse de « London Feminist » suite à une discussion entre deux twitteuses qui expliquaient qu’elles n’avaient jamais signalé le harcèlement sexuel dont elles avaient pu faire l’objet dans l’espace public. La bloggeuse anonyme a donc lancé le hashtag #ididnotreport. Ce mot-clef, permettant de catégoriser un tweet, signifie « je ne l’ai pas signalé » ou « je n’ai pas porté plainte ». London Feminist s’attendait, écrit-elle, à ce que les témoignages parlent essentiellement de « faibles niveaux de harcèlement » dans l’espace public. Mains aux fesses, « pelotage », propos à connotation sexuelle… la liste est longue. Ces comportements sont subis par les femmes et jamais signalés car « c’est accepté comme faisant partie de la vie ».
Mais ce sont des témoignages d’agressions très graves qui ont rapidement émergé. En deux jours, près de 2 000 tweets ont été postés avec le hashtag #ididnotreport. Et leur lecture est éclairante sur les raisons qui empêchent encore largement de porter plainte contre les violences sexuelles.
…parce que…
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« Je croyais que c’était ma faute ». Nombre de tweets témoignent de la force de cette croyance. « J’avais bu », « je flirtais », « je ne me suis pas assez défendue »… Parfois même il n’y a pas d’explication, simplement ce sentiment d’être fautive. L’idée que la victime a sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive est propre aux violences sexuelles. Une twitteuse publie ainsi un texte où une plainte pour vol est traitée comme s’il s’agissait d’une agression sexuelle. Il semble aberrant que le policier insiste sur la « coopération » de l’homme avec son agresseur. Malheureusement, dans les plaintes pour viol, la victime et souvent transformée en coupable. C’est également ce qui ressort de ces témoignages. Nombreuses sont celles qui après une première plainte infructueuse, ont décidé de ne pas signaler une autre agression. On peut ainsi lire : « J’ai porté plainte et j’ai été traitée comme une criminelle. J’ai perdu des amis et j’ai fini par tomber en dépression. J’aurais aimé ne pas porter plainte. Aucune charge n’a été retenue ».
Le fait de connaître son agresseur est également un frein important. Régulièrement des twitteuses expliquent qu’elles n’ont pas porté plainte « parce que c’était un ami ». Or on sait que la plupart des agressions sexuelles sont le fait d’une connaissance, voire d’un proche1.
Ce sont majoritairement des femmes qui témoignent, mais pas seulement. Quelques hommes font part de leur difficulté à parler de leur agression. « Je n’ai pas porté plainte parce qu’avoir un pénis implique le consentement. » Des hommes mais aussi des transexuels et des travailleurs du sexe, écrit « London Feminist ».
Le poids du silence
Le site de L’Express parle de « thérapie par Twitter », tout en précisant que cela ne suffit pas, car « les réseaux sociaux désinhibent ». Visiblement pas suffisamment pour que la parole se libère complètement. Ainsi un compte anonyme s’est rapidement créé : @ididnotreport1. Le but est de permettre aux personnes de témoigner sans utiliser leur propre compte Twitter. Encore une preuve du poids du silence qui entoure les agressions sexuelles.
Rompre l’omerta La discussion qui a mené à la création de « I did not report » a pour origine une campagne de Mumsnet, un site « de parents dédié aux parents ». Intitulée « we believe you » (nous vous croyons), elle vise à « déconstruire les mythes autour du viol » empêchant de nombreuses femmes de porter plainte. Car plus les victimes d’agression sexuelle ont peur de ne pas être crues, moins leur agresseur risque d’être inquiété. En France, le nombre de viols qui ne donnent pas lieu à des plaintes fait aussi l’objet d’une campagne : « Pas de justice, pas de paix ». L’objectif : « que justice soit rendue » aux 70 000 femmes qui ne portent pas plainte, chaque année, pour le viol qu’elles ont subi. |
Illustration : Nigsby.
1. Pour la France, une étude de l’INSEE de 2007 donne les chiffres suivants : « pour les agressions à l’extérieur du ménage, 70% des victimes disent connaître l’auteur. La moitié le connaissent personnellement ». Pour l’ensemble de l’étude : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1180®_id=0#inter3