Najat Vallaud-Belkacem a réuni des représentants d’associations syriennes pour dresser le bilan de la condition des femmes dans le pays déchiré par la guerre. Un état des lieux alarmant.
Médecins, psychologues, artistes, journalistes, activistes syriennes et représentantes de la Coalition nationale syrienne, tous rassemblés par Najat Vallaud-Belkacem au ministère des Droits des femmes mercredi 11 septembre1 pour exposer le quotidien des Syriennes à l’intérieur du pays et dans les camps de réfugiés. Avec comme enjeux, a récolte de fonds pour venir en aide aux femmes, et la préparation du rôle des Syriennes dans l’éventuelle phase transitoire d’après al-Assad.
« Qu’il s’agisse des épouses, des filles, des mères des soldats du régime ou de celles des rebelles, les femmes souffrent et sont les premières victimes du conflit syrien. » Le ton est donné par Amira2, représentante de la Coalition nationale syrienne. L’objectif de cette réunion n’est pas de prendre parti pour ou contre Bachar al-Assad, mais de tirer la sonnette d’alarme sur la situation des femmes en Syrie.
Viols, violences sexuelles : des traumatismes à vie
Et de rappeler qu’en temps de guerre, le viol est une arme redoutable à laquelle la Syrie n’échappe pas. « Je n’aurais jamais imaginé l’ampleur des viols dans les prisons », confie le docteur Oubaida Al-Moufti, porte-parole de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux (UOSSM). Les femmes, les sœurs et les filles des prisonniers sont violées sous leurs yeux pour les faire parler. »
« Je n’aurais jamais imaginé l’ampleur du viol dans les prisons » |
Un traumatisme pour les femmes qui ne se limite pas au moment du viol comme l’explique Amira : « Le viol engendre des conséquences dramatiques, comme les grossesses non désirées. » Sans compter les MST et autres traumatismes génitaux liés à ces agressions, le viol a également des répercussions psychologiques que les médecins ont du mal à soigner. « Il y a une vraie difficulté à recueillir des témoignages parce que le viol est un sujet tabou dans la religion musulmane. Il est question de l’honneur de la famille entière, les femmes ne veulent pas parler », assure la docteure Khaula Sawah, une Syrienne basée à Alep, contactée par Skype pour l’occasion.
Des agressions subies à l’intérieur même du pays mais aussi dans les camps de réfugiés, où des jeunes filles de 13 à 15 ans subissent des mariages précoces ; une façon pour la famille d’obtenir de l’argent. Pour parer à ces situations, les participants ont réclamé des moyens financiers qui permettraient l’autonomisation économique des femmes.
« La guerre tue des milliers de personnes au combat, mais le grand désastre est aussi celui de la vie quotidienne » |
Le défi de la scolarisation
Avec les hommes sur le front, les Syriennes n’ont pas suffisamment de revenus pour faire vivre leur famille. « Aujourd’hui, il y a 7 millions de personnes qui ont besoin de soins en Syrie, qu’il s’agisse d’aide humanitaire ou d’aide alimentaire », selon Oubaida Al-Moufti, qui expose que des milliers d’enfants ne sont pas vaccinés depuis 2 ans et que le lait, notamment, manque cruellement.
Cette situation désole la docteure Al-Moufti, qui poursuit : « 80% des accouchements se font désormais à domicile, ce qui amène des morts chez les femmes et les nourrissons. La guerre tue des milliers de personnes au combat, mais le grand désastre est aussi celui de la vie quotidienne ». En 2009, le nombre de morts naturelles faute de soins était de 116 en Syrie. En 2013, ils s’élève à plus de 200.000.
Dans ce drame syrien, Oubaida Al-Moufti tient à souligner que sur les 1.500 morts de l’attaque chimique du 21 août dernier, les deux tiers étaient des femmes et des enfants.
« Le danger d’une génération d’enfants qui vont prendre les armes faute d’éducation » |
Au-delà des décès liés à la guerre et au manque de moyens, la peur des mères syriennes réside aussi dans la déscolarisation de leurs enfants. Aujourd’hui, plus de 40% des enfants âgés de 6 à 15 ans ne sont pas scolarisés, et plus de 2 millions sont privés d’école. Des données qui font craindre à Bassma Kodmani, politologue, directrice de l’Arab Reform Initiative (ARI), « le danger d’une génération d’enfants qui vont prendre les armes faute d’éducation. » Pour elle, « la scolarisation des enfants est un défi considérable. Les femmes sont porteuses de demande d’éducation mais elles ne sont pas entendues. » (Voir aussi son interview : « Les Syriennes seront le principal élément de résistance »)
La menace de l’extrémisme
Outre le droit des enfants à l’éducation, il s’agit aussi de rappeler que les droits des femmes dans le pays sont menacés par la montée de l’extrémisme religieux.
Yana2, artiste syrienne, raconte que « les femmes ont toujours joué un rôle pilote dans la société. Elles ont formé des Comités, avant même la militarisation du conflit. Elles ont lancé des initiatives, fondé et dirigé l’organisation des secours, de l’aide médicale par exemple, elles sont aussi dans les médias ».
Pourtant, l’image des femme a beaucoup reculé avec l’évolution du conflit. La Syrie doit désormais faire face à l’apparition de mercenaires, qui apportent avec eux la culture des pillages. Une situation qui conduit les femmes à disparaître de l’espace public dans les villes et les villages. « Il y a une nouvelle maladie qui se répand en Syrie : ce sont les groupes djihadistes », alerte la jeune femme. « Ils interdisent aux femmes de sortir sans voile, certaines sont mariées de forces à des combattants, à des moudjahidines étrangers. Il y a une infiltration des djihadistes au sein même de la société. »
« Si on laisse la société toute seule, c’est sûr que dans quelques années, on sera dans une société afghane » |
Un cri d’alarme repris par Amira, la représentante de la Coalition nationale syrienne, pour qui « les femmes sont constamment exposées à la mort, dans les zones sous contrôles du régime, mais aussi dans les zones libérées. Il est regrettable de voir que les cas d’extrémismes sont nouveaux et étranger à la Syrie. » Et d’ajouter : « Les musulmans syriens sont modérés. S’il y avait eu un véritable soutien de la communauté internationale dès le début, nous n’en serions pas là. »
Yana, elle, va plus loin dans sa mise en garde. « Si on laisse la société toute seule, c’est sûr que dans quelques années, on sera dans une société afghane. »
Même son de cloche pour Patricia Raïka, activiste syrienne de 23 ans issue de la province de Raqqa, la seule complètement indépendante du pays, qui relate comment « tous les jours, il y a des manifestations de femmes contre les islamistes pour leur dire : vous ne nous imposerez pas le voile ! Une femme, qui manifestait tous les jours contre le régime de Bachar Al-Assad, mène désormais un sit-in quotidien devant le Comité des Affaires religieuses. Elle se dresse face aux islamistes avec chaque jour, un slogan différent sur sa pancarte »
Pour permettre l’intégration des femmes dans la phase transitoire du conflit (tout est encore question de conditionnel), la France, par la voix de Najat Vallaud-Belkacem, s’est engagée à former 50 Syriennes dans le domaine politique via un programme d’échange de plusieurs semaines. S’il elle s’est également dite prête à fournir l’aide économique nécessaire aux besoins urgents de la Syrie, la France a néanmoins expliqué que restait à convaincre le reste de la communauté internationale. Aucune annonce n’a donc été faite sur le possible versement de fonds pour venir en aide à ces associations locales.
Photo © UNHCR / S. Baldwin. Une réfugiée syrienne en Egypte, mai 2013
1 Dans le cadre du projet du renforcement du rôle des femmes dans la société voulu par l’Union pour la méditerranée (UPM)
2 Les prénoms ont été modifiés