Christine Angot signe un film sidérant, bouleversant, magistral qui interroge le déni et l’incompréhension face à l’inceste.
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L’inceste, Christine Angot avait commencé à en parler en 1995 dans un livre presque oublié, « Interview », qui racontait la rencontre entre un écrivain et un journaliste. Puis, elle en a fait le sujet central de son œuvre – car c’est bien d’une œuvre qu’il s’agit. En 1999, elle publie « L’Inceste » chez Stock. Un coup de poing littéraire (50.000 exemplaires vendus) et un sacré courage. Écrire sur ce sujet qui constitue la pire des violences qu’on puisse exercer sur une enfant, non pas témoigner mais écrire, en faire de la littérature, sans se poser en victime, en faire le thème de son œuvre, il fallait oser. Elle osera encore et encore malgré les réactions abjectes (voir Thierry Ardisson, Laurent Baffie et Sarah Marshall se foutre littéralement de sa gueule sur le plateau de « Tout le monde en parle » en octobre 2000 est insupportable). Mais elle supporte tout, Christine Angot. Et elle trace sa route d’écrivaine, indifférente aux critiques qui l’étrillent, avec une force et une plume incroyables.
Hormis un petit cercle de féministes qui hurlaient dans le désert, l’époque se fichait de l’inceste, du carcan et de la douleur dans laquelle les pères criminels murent et enferment les petites filles qui subissent la pire des violences et se demandent ce qu’elles ont fait, ce qu’elles auraient dû faire et pourquoi elles. L’époque se voulait libre, libertaire, désinhibée. Les petites filles n’avaient qu’à se taire et subir.
Christine Angot n’a jamais cherché à plaire. On l’écoutait mais on ne l’entendait pas. Un inceste, oui et alors ? C’est fou comme les violences peuvent nous traverser sans nous percuter. Comme si le tabou, c’était d’en parler, de penser vraiment à ce que cela signifie.
Il aura fallu que d’autres qu’elle prennent la parole pour qu’on prenne conscience, enfin, de ce qu’elle a vécu sans pour autant le comprendre vraiment car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Il aura fallu Metoo, il aura fallu que Camille Kouchner dénonce avec « La Familia grande » ( Le Seuil, 2021) les aberrations d’une époque qui se prétendait « libérée », il aura fallu l’ouvrage magnifique et multiprimé de Neige Sinno (« Triste tigre », POL, 2023), la prise de parole de Judith Godrèche et tant d’autres encore pour que nous entendions enfin ce que Christine Angot n’a cessé d’écrire, comme si tout d’un coup un autre mur de verre volait en éclat. Voilà, c’est l’histoire d’hommes qui exercent le pire des pouvoirs sur des enfants, des mineures, leurs enfants qui n’en sortiront jamais. Car on n’en sort pas, jamais. On peut juste en faire quelque chose, à l’instar de Christine Angot qui n’a cessé de dire aux journalistes qui l’interviewaient qu’ils ne comprenaient rien, qui n’a rien fait pour nous émouvoir, qui voulait juste dire, écrire, exister et qui aujourd’hui nous donne à voir un film qui nous sidère et nous chavire.
Christine Angot s’est acharnée comme elle a pu, malgré l’aveuglement de ses proches, leurs œillères, l’indifférence criminelle de sa belle-mère, l’amour difficile de sa mère, la douceur solidaire du père de sa fille, sa fille qui lui dit « Je suis désolée de ce qui t’est arrivé ». Ce sont les seules paroles qui peuvent la réparer un peu. Et ce sont celles de sa fille Léonore dont les images d’enfance traversent et accompagnent le film du début jusqu’à la fin.
Que dire d’autre devant ce film bouleversant ? Nous aussi, nous sommes désolées.
Danièle Laufer