N’en déplaise aux fossoyeurs d’informations, la dernière étude de l’Ina ne voit quasiment aucun progrès dans la féminisation des journaux télévisés. Le CSA promet d’agir pour une meilleure représentation des femmes dans les médias, mais sans contrainte.
L’indignation face au manque de visibilité des femmes dans l’information serait une fumisterie affirme Renaud Revel. Le journaliste de L’Express ne mâche pas ses mots, ce 28 février, contre les « pasionarias de la cause ». Objet de son courroux : une interview de Sylvie Pierre-Brossolette, ce même jour dans Le Parisien. La nouvelle membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en charge des droits des femmes juge « terrifiant de voir combien les femmes sont absentes des plateaux » et évoque de nouveaux moyens d’action pour le CSA.
Renaud Revel, aveugle aux chiffres et études qui se suivent et se ressemblent, estime, au contraire, que « tout a changé en quelques années » au sein des chaînes de télévision et que nombre de femmes y ont imposé leur griffe. Et de citer un chapelet de noms de femmes reporters ou présentatrices pour en conclure que tout va très bien, madame la marquise. Au passage, il ne comprend pas que le CSA ne parle pas, en l’occurence, des femmes journalistes mais des femmes dans le contenu des médias.
Les présentatrices, seule exception
Sa démonstration est parcellaire. Renaud Revel oublie par exemple que seuls 17% des titulaires d’une carte de presse « directeur » sont des femmes (Voir : En 2012, toujours plus de femmes journalistes… et moins de directrices).
Il a surtout la malchance d’écrire sa diatribe au moment même où sont publiés de nouvelles statistiques qui mettent à mal son analyse. En 2012, les journaux télévisés (JT) des 6 chaînes nationales ont mis à l’écran moins de 2 femmes pour 8 hommes, selon l’étude menée par Ina Stat sur les JT de TF1, France 3, Canal+, Arte et M6
Certes, quand il s’agit de présenter les journaux télévisés du soir, les femmes journalistes occupent presque la moitié du temps d’antenne : 43,1%. Un chiffre en « augmentation constante », comme le montre le graphique de l’Ina ci-dessous. Mais c’est la seule exception.
Globalement, le taux de présence des femmes (qu’elles soient journalistes, expertes, personnalités ou témoins) dans ces journaux était de 18,8% en 2012. Moins de 2 femmes pour 8 hommes. C’est à peine mieux que 4 ans plus tôt : elles étaient 17,8% en 2008. « A ce rythme-là, c’est vers 2040 que la parité sera atteinte ! », grince Ina Stat.
Une seule dirigeante d’entreprise
L’étude souligne également que sur les 638 personnalités les plus médiatisées dans les JT (…) la population féminine est de 16%, soit un total de 102 femmes », 43 d’entre elles étant des politiques. Et parmi ces femmes les plus médiatisées, une seule dirigeante d’entreprise apparaît : Barbara Dalibard, directrice générale à la SNCF. Pourtant, « 30% à 39% des cadres de direction ou chefs d’entreprises seraient des femmes », note Ina Stat.
D’autres études relevaient des chiffres comparables, au-delà des seuls journaux télévisés. En décembre 2011, la Commission sur l’image des femmes dans les médias relevait en particulier le peu de place occupée par les expertes : 18% (Voir : Sur le chemin de la mixité, la consommatrice).
L’enquête mondiale du Projet mondial de monitorage des médias (GMMP) observait à l’automne 2010 que les femmes ne sont présentes que dans un quart des informations, en France et dans le monde (Voir : Les stéréotypes féminins ont bonne presse en France).
Le CSA pas si coercitif
Renaud Revel voit par ailleurs dans l’interview de Sylvie Pierre-Brossolette la volonté d’ « imposer aux chaînes, des quotas, et ce de manière coercitive ». Le journaliste de L’Express baigne là dans l’élucubration. La nouvelle recrue du CSA ne fait que répéter ce que précisait déjà le gouvernement fin 2012 (Voir : Dans les médias, pas de bouleversement pour l’égalité). Le CSA devrait être prochainement chargé de « veiller à la promotion de l’image de la femme et à la lutte contre la diffusion de stéréotypes sexistes et d’images dégradantes des femmes dans les programmes ». A l’heure actuelle, et depuis 2009, le CSA se contente d’observer la « représentation des genres » à la télévision, dans le cadre d’un « baromètre de la diversité » plus global. Sylvie Pierre-Brossolette annonce certes la mise en place d’un « groupe d’observation » chargé de scruter les programmes et veiller à une juste représentation des femmes, mais confirme qu’aucun nouvel outil de sanction n’est prévu.
D’autant qu’il reste à confirmer ces déclarations d’intention. En janvier était annoncée la publication par le CSA d’une étude statistique sur la place du sport féminin à la télévision (Voir : Vers davantage de sport féminin à l’antenne). Plus d’un mois plus tard, elle se fait toujours attendre…
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