Le récit des événements consécutifs à la mort de Nahel, consacre la figure de la « mater dolorosa » et sature l’espace médiatique de violences commises par des hommes.
Quand Mounia, la mère de Nahel, s’exprime pour la première fois dans une vidéo sur les réseaux sociaux, le soir de la mort de son fils, tué par un policier mardi matin, son propos est accueilli avec compassion. « Mon fils, c’était tout pour moi » dit-elle en larmes. Mais quand, le lendemain, elle apparaît, poing levé et sourire lors de la marche blanche, au milieu d’une foule qui réclame « justice pour Nahel », c’est un déferlement de critiques -voire de haine- qui s’abat sur elle. Pleure et tais-toi… L’image ne cadre plus avec la figure de la mater dolorosa. Ceux qui s’autorisent à donner leur avis font des leçons à n’en plus finir sur ce que doit être une mère endeuillée. La douleur des femmes est médiatiquement correcte mais pas leurs saines colères.
Rien n’autorise à penser que son sourire élimine sa souffrance mais comme le dit Anne-Cécile Mailfert dans une très belle lettre à Mounia, ce vendredi matin sur France-Inter, « Vous le sentez déjà, votre deuil ne vous appartient plus. » Il faut écouter ou lire cette chronique ici.
La présidente de la Fondation des femmes rend visible l’invisible héroïsme des mères isolées, celles qui élèvent seules leurs enfants : « Vous, comme les autres, vous vous êtes relevées parfois au milieu de la nuit pour aller les chercher au milieu de la cité. Vous les grondez fort quand ils font des bêtises parce que vous savez que rien ne leur sera jamais pardonné. Ailleurs on dit “il faut que jeunesse se passe”. Pas quand on est né dans un quartier. Ici les enfants n’ont pas le droit d’être des enfants. Il leur faut filer droit. Et c’est aux mères que revient le sale boulot d’apprendre à leurs enfants à baisser la tête. Ce n’est pas la même chose qu’apprendre la politesse ou à respecter les règles de vie en commun. »
Pour ceux qui interprèteraient la demande de justice comme un appel à la violence, Anne-Cécile Mailfert rappelle : « De votre peine, vous n’en êtes qu’aux débuts. Mais vous avez décidé que vous n’irez plus jamais dire à un jeune homme de “baisser la tête”. Vous ne jouerez plus le rôle de la mère qui tempère la colère. Vous ne voulez plus. Vous ne voulez pas de la guerre. Vous voulez la paix, Mounia. Mais la tête haute, vous exigez la justice. Car sans justice, comment espérer la paix ? »
Mounia veut la justice et la paix quand elle déclare au micro de France5 : « Je n’en veux pas à la police, j’en veux à une personne, celui qui a enlevé la vie de mon fils ».
Médiatiquement correct
Tête haute, désir de justice et de paix, ce n’est pas ce qui déferle sur les écrans. En miroir masculin de la figure de la mater dolorosa attendue, une violence, brutale, gratuite, destructrice est filmée et photographiée sous tous ses angles dans les rues des villes de France. Des feux, des tirs, des jets de pierre saturent l’espace médiatique. A la tristesse et à la colère dignes s’oppose la violence. A l’appel à la paix et à la justice succèdent des appels à la vengeance et à la guerre.
Et sur les images de violence la quasi-totalité des protagonistes sont des hommes. « La violence des hommes. Encore. » écrit Lucile Peytavin sur les réseaux sociaux. L’autrice du remarquable ouvrage « Le Coût de la virilité. Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes » récolte avec ce message, quelques félicitations mais aussi une vague de commentaires haineux. Même observation de la part de la politiste Virginie Martin : « On ne peut que constater que la violence, en costume, en uniforme, ou en streetwear se conjugue le plus souvent au masculin. » Et mêmes commentaires haineux sous son post.
Les médias présentent Mounia comme « acceptable » quand elle pleure son fils, pas quand elle réclame justice et paix. Ils commentent les scènes de violences comme des scènes de film, comptent les points entre police et émeutiers. Ce récit des événements entretient l’impuissance des femmes et la violence des hommes.
Les appels féministes à apprendre aux hommes à « se comporter comme les femmes » ne sont pas entendus. Ce sont eux qui dessinent le monde dans ce récit médiatique et disent aux femmes -et aux hommes- comment elles -et ils- doivent se comporter. Sortir de l’impasse en éduquant les hommes comme on éduque les femmes n’est pas une option qui traverse l’esprit des dirigeants du monde.
Un peu de musique pour adoucir : Anne Sylvestre l’avait bien écrit dans sa chanson « Une sorcière comme les autres »
…S’il vous plaît
Regardez-moi je suis vraie
Je vous prie, ne m’inventez pas
Vous l’avez tant fait déjà
Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue….
