La santé de 2,5 milliards de personnes – plus du tiers de l’humanité – est menacée par le manque de ce qui nous semble évident : l’accès à des toilettes et à des installations sanitaires correctes. Pour la Journée mondiale de l’eau, Action contre la Faim pose les toilettes sur la place publique. Pour faire prendre conscience que ce sujet n’a rien de trivial, de honteux : il s’agit d’un enjeu sanitaire mondial. C’est d’ailleurs l’un des Objectifs du Millénaire de l’ONU, sans doute le plus difficile à atteindre.
Une longue file d’attente, ce vendredi midi, devant les toilettes publiques de la Madeleine, les plus vieilles de Paris. Une mobilisation à l’initiative d’Action contre la Faim (ACF), pour rappeler qu’à l’heure actuelle un tiers de l’humanité n’a pas accès à des toilettes et à un traitement sain des eaux domestiques.
Evidemment, le sujet n’est pas des plus glamours. Mais ACF entend, par ce genre d’action, dépasser la gêne qu’il peut provoquer. Car parler de toilettes, pour toutes ces personnes, c’est parler de vie et de mort.
Le fait de ne pas y avoir accès « tue 5 000 enfants par jour », rappelle François Danel, directeur Général d’ACF France :
« Un environnement sanitaire précaire est l’une des causes de la mort de 2,2 millions d’adultes et de 1,8 millions d’enfants, du fait de la diarrhée, chaque année dans le monde », explique encore l’ONG.
Sans compter que la problématique de l’assainissement ne se limite pas à ces drames de santé publique. Il s’agit aussi, explique ACF, d’« un fort vecteur de pollution de l’environnement et un affront à la dignité humaine à grande échelle ». Il affecte aussi de nombreuses autres questions : le manque de sanitaires pose ainsi, par exemple, des limites à l’éducation des filles (voir encadré).
Et pourtant, « ni le grand public, ni les décideurs politiques ne souhaitent s’attarder sur cette thématique gênante. » Pour le grand public, ACF a créé un site spécifique. Il héberge entre autres une pétition pour interpeller ces décideurs politiques. Ceux-ci se rencontreront à Washington le 23 avril, pour la première réunion de haut niveau consacrée à l’assainissement et à l’eau potable, organisée par l’UNICEF. Il faut que la question devienne une priorité, clame ACF. Au niveau international, pour que les financement soient à la hauteur ; mais aussi au sein des gouvernements des pays concernés.
C’est ce qu’explique Jean Lapegue, référent du secteur « Eau, assainissement et hygiène » à ACF France :
Les Objectifs du Millénaire ont fixé un cap : le nombre de personnes ne disposant pas de l’accès à l’assainissement amélioré devait passer de 2,7 milliards en 1990 à 1,9 en 2015. Avec toujours 2,5 milliards de personnes affectées, il sera donc très difficile d’atteindre cet objectif.
Des progrès ont été réalisés partout dans le monde. En Asie du Sud notamment, et même en Afrique subsaharienne. Mais ils parviennent à peine à suivre l’évolution de la population. La moitié du monde en développement n’a toujours pas accès aux infrastructures essentielles. Pour atteindre les objectifs, l’UNICEF et l’OMS estimaient en 2008 que « un milliard de citadins supplémentaires, et près de 900 millions de personnes vivant dans des communautés rurales souvent isolées devront avoir accès à des services d’assainissement améliorés ».
Alors, quelles solutions ? Pour Action contre la Faim, il faut un accroissement des financements internationaux, mais aussi une meilleure répartition. A l’échelle mondiale, le secteur de l’eau, l’assainissement et l’hygiène doit être reconsidéré. « La part qui lui est accordée dans l’aide globale n’est que de 6% – contre 15% à la santé et 17% à l’éducation ».
Mais il faut aussi reconsidérer les priorités locales. Car les aides ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin : « Seuls 42% de l’aide globale du secteur vont effectivement vers les pays les plus pauvres », déplore l’ONG. « Parmi la liste des 15 pays identifiés comme étant les plus à risque au regard de leur situation sanitaire, aucun ne figure dans les 10 premiers destinataires de l’aide globale accordée au secteur de l’eau, l’assainissement et l’hygiène. »
Revoir le système et établir un plan d’action, l’enjeu est de taille. Si ACF, avec d’autres associations, mise sur le sommet de Washington dans un mois, elle prépare aussi le sommet de New-York, en septembre, qui sera dédié aux Objectifs du Millénaire.
L’accès à l’eau et aux toilettes, enjeu d’égalité des sexes On pense à la collecte d’eau, tâche éprouvante, qui est essentiellement le fait des femmes et des filles et peut priver ces dernières de scolarité. On pense au manque d’assainissement, dangereux en particulier pour les femmes enceintes ou nouvellement accouchées. On pense moins que les latrines favorisent l’intimité des femmes et limitent les violences qu’elles peuvent subir dans un contexte de défécation en plein air. Dans certaines cultures, pour faire leurs besoins, « les femmes et les filles se retiennent souvent toute la journée, et attendent la tombée de la nuit pour se soulager », explique l’UNICEF. Interviennent alors les risques de viols ou d’agressions. ACF insiste sur un autre point : les toilettes sont également un enjeu pour la scolarité des filles. « Au sein des écoles, avoir accès à des latrines propres et fermées permet aux jeunes filles pubères de continuer à suivre leurs cours. » Le manque d’intimité pour les jeunes filles est l’une des principales raisons de déscolarisation : 1 fille sur 4 n’achève pas le cycle d’école primaire contre 1 garçon sur 7. » |